Economiste du développement et figure du commerce équitable en France depuis près de quinze ans, Julie Stoll est aussi une convaincue de la bio. Deux labels qui partagent des valeurs, une vision des filières agro-alimentaires… et des défis communs pour les années à venir.
Qui a dit que les grandes écoles menaient seulement aux banques d’affaires ? C’est lors de ses études à la London School of Economics que Julie Stoll s’est intéressée au commerce équitable. Sa première expérience professionnelle, dans une maison d’édition plutôt éloignée de la doxa capitaliste, Pluto Press, qu’elle publie un ouvrage sur le sujet.
De retour en France, après une expérience au sein de l’ONG CCFD-Terre Solidaire, elle intègre en 2008 la plateforme Commerce Equitable France, dont elle est la déléguée générale depuis 2017.
Deux labels qui se complètent
Mais peut-être faut-il rappeler les bases du commerce équitable ? Une juste rémunération pour les producteurs, une relation commerciale inscrite dans la durée, des projets de développement local, la transparence et la traçabilité des filières, la sensibilisation des consommateurs… « Ce que je retiens surtout, c’est que le commerce équitable permet d’améliorer les relations entre les acteurs au sein d’une filière donnée, précise Julie Stoll. C’est ce partage de la valeur qui donne des moyens aux agriculteurs d’investir dans la transition écologique. »
Aujourd’hui, Commerce Equitable France regroupe des entreprises, des ONG, des associations d’éducation populaire… et bien sûr, les 7 principaux labels présents sur le marché français : SPP, FairTrade/Max Havelaar, WFTO, Biopartenaire, Fair for life, Agri-éthique et Bio équitable en France. « C’est notre biodiversité », sourit Julie Stoll, avant de préciser que les labels sont bien plus que des logos apposés sur les produits : « Tous garantissent le respect de la définition légale du commerce équitable, avec des dispositifs d’audit et de contrôle aussi robustes que ceux du label AB. Mais un label n’est pas seulement un signal envoyé au consommateur, chacun d’entre eux fédère et anime un véritable écosystème d’entreprises et d’organisations de producteurs – c’est une dynamique précieuse pour mettre en mouvement tous les acteurs ! »
L’équitable en croissance… et en France
Et de dynamique, le commerce équitable ne manque pas. Depuis 2010, le marché a en effet été multiplié par 6, et dépasse désormais les 2 milliards d’euros annuels. Les deux tiers des ventes sont des produits qui viennent des pays du Sud – café, thé, cacao, bananes… Les filières françaises, encouragées par la Loi Hamon en 2014, représentent aujourd’hui un tiers des ventes de produits équitables, dans des domaines très divers : blé et boulangerie, produits laitiers, légumineuses, viandes et œufs… « En France comme dans le commerce Nord-Sud, les principes du commerce équitable sont les mêmes : on repense la rémunération des acteurs, et on structure des filières plus écologique grâce à des mécanismes d’amélioration de la répartition de la valeur ». Avec un souci de plus en plus saillant pour la préservation de l’environnement – qui s’est imposée depuis comme la Loi Climat de 2021 comme un nouveau « pilier » du commerce équitable.
Un nouveau pilier environnemental
« L’environnement est un engagement historique des acteurs français du commerce équitable », explique Julie Stoll. Une question de valeurs partagées, de responsabilité… et depuis la Loi Climat de 2021, une obligation. « C’était devenu une sorte d’évidence, mais nous avons poussé pour que ce soit inscrit dans la loi », précise Julie Stoll, elle-même consommatrice de bio « de la première heure ». Et s’il ne fallait retenir qu’un chiffre, ce serait celui-là : 83 % des références en commerce équitable sont également bio. Et c’était déjà la cas avant la loi Climat !
L’équitable résiste à l’inflation
Mais alors… Le commerce équitable connaît-il les turbulences dont souffre l’agriculture bio depuis la crise du Covid ? Pas tout à fait. En 2022, la consommation « équitable » a encore crû de 2 %, portée notamment par les filières françaises. Mais la conjoncture est évidemment délicate. « Nos labels n’ont heureusement pas à souffrir de la fabrique du doute qui a fragilisé l’agriculture bio ces dernières années, avec l’apparition d’appellations trompeuses, souligne Julie Stoll. L’inflation en revanche rend le contexte moins favorable, avec les arbitrages de certains consommateurs pour les produits les moins chers. » Pour autant, ajoute-t-elle, dans certains cas le commerce équitable aura été un rempart contre l’inflation. Dans la boulangerie, par exemple : « les prix du blé ont grimpé en 2022 pour des raisons essentiellement liées à la spéculation ; mais avec les contrats de commerce équitable garantis sur le long terme sur la base des coûts de production et non des prix de marché, les produits équitables étaient finalement moins chers !»
Vers une transition alimentaire bio et équitable
Reste à généraliser ce modèle vertueux. Et cela, Julie Stoll et Commerce Equitable France y travaillent, en se battant pour faire modifier les règles du jeu économique. « Mon premier souhait serait de mettre en cohérence toutes les politiques publiques pour favoriser l’engagement vers la transition alimentaire : moins de produits carnés, moins d’emballages, et plus de produits bio et équitables », dit-elle. Encore faudrait-il que la puissance publique récompense les investissements allant dans le sens d’une protection de la nature et d’une juste rémunération des agriculteurs. Par des systèmes de bonus/malus écologiques, par exemple, et des plans d’accompagnement des acteurs à la transition agroécologique. Et Julie Stoll de pointer quelques lueurs d’espoir, comme ces discussions entamées dans certains pays africains pour moduler la fiscalité à l’export du cacao en fonction des pratiques des acheteurs : des taux moins élevés pour le cacao équitable et plus élevé pour ceux qui ne garantissent psa le paiement d’un prix décent aux planteurs. « Voilà qui serait un vrai signal prix pour faire bouger les lignes et redonner de la compétitivité prix aux démarches d’avenir ! » conclut-elle. Un signal que toute la communauté bio guettera assurément aux côtés des acteurs de l’équitable…