Sommelière, directrice de l’école vins et spiritueux du Vingt-Deux, à Montreuil, et autrice de In vino Femina1, avec Céline Pernot-Burlet (Hachette Pratique 2022), Alessandra Fottorino éveille les palais avec allégresse. Elle consacre son palais à la dégustation de vins bio, voire biodynamiques pour des raisons de goût, avant tout. Celui du terroir émancipé de la chimie synthétique, celle-là même dont on veut actuellement sortir à grands coups de plan Ecophyto.
A force de travail, de découvertes de vigneronnes et vignerons travaillant sur des vins d’auteurs, Alessandra s’est rendue incontournable dans la galaxie de la dégustation de vins « normaux ». « Au 22, notre école, tous les vins dégustés ici sont au minimum bio, mais aussi biodynamiques et nature. Mes élèves me demandent en arrivant « pourquoi on ne boit pas des vins « normaux » ? », sous-entendu non bio, et je leur réponds que c’est justement ce qu’on fait : redécouvrir les saveurs originelles du vin. C’est toute une éducation et une déconstruction de ce à quoi ils sont habitués, mais au bout de 3 ans, ils ne se voient pas revenir à ce qu’ils buvaient avant. Je me dis alors que j’ai réussi ma mission ».
Il y a vingt ans, Alessandra ne se prédestinait pas à cette trajectoire. En échec scolaire, elle quitte l’école à 16 ans. Rêvant d’indépendance, elle démarre comme serveuse et barmaid. Elle sent bien que ses lacunes théoriques sur les contenus de ce qu’elle sert à boire la condamne à rester à cette place, alors elle passe son bac en candidate libre, puis intègre Ferrandi en dernière minute. Pendant un an, elle fait ses classes accélérées à deux pas de l’Assemblée Nationale chez Bernard Loiseau. La carte des grands crus de Bourgogne l’émerveille, mais elle ne peut pas plus la décrypter qu’un texte en chinois. Thomas, le sommelier, la prend sous son aile et lui confirme que son avenir est de parler couramment la langue du vin et des « climats ».
Après un BTS boissons elle fait ses classes pendant 7 ans aux repaires de Bacchus. Arrivée apprentie, elle repart directrice des ventes, et entre temps a visité nombre de vignobles et vignerons partout en France.
Pourquoi ce crédo bio ? Elle avance « pour les consommateurs, l’excès de labels ajoute de la confusion alors que le bio, label public et garantie d’état se suffit à lui-même pour savoir comme a été traité le raisin que l’on trouve dans le vin. Les gens ont besoin de clarté : dans toutes mes formations, ma pédagogie, c’est de reprendre les bases. J’ai des questions comme « quoi, mais on peut mettre du glyphosate dans les vignes ? ». S’ils étaient mieux informés en amont, ils choisiraient probablement différemment, il faut accélérer la communication pour être audibles et transparents : le bio dans les champs est nécessaire mais non suffisant pour avoir du plaisir avec le vin, il faut le talent des vignerons ou vigneronnes pour faire de bons vins bien sûr, et choisir en conscience. Mais il est indispensable pour produire proprement ».
Alors qu’apprend-on avec Alessandra ? Que le vin bio c’est produire du raisin sans produits chimiques synthétique et vinifier avec une liste réduire d’additifs.
Que la biodynamie c’est le cahier des charges AB augmenté de critères supplémentaires.
Qu’il peut y avoir des sulfites dans le vin bio.
Que les labels Vegan traitent de la vinification et ne disent rien des traitements chimiques dans les vignobles sur les grains.
Où en est-on du vin bio ?
21% des vignes françaises sont cultivées en bio, et nombre de beaux domaines ont sauté le pas de la certification comme le Pontet Canet à Pauillac ou la Closeries des Moussis dans le Haut Médoc. Des bouteilles qu’on peut retrouver au 22, où elle ravive la tradition oubliée de la dégustation des Gourmets : « au XIIè siècle, l’ordre des Gourmets goûtaient les vins pour en certifier la provenance et leur dégustation passait uniquement par la bouche car c’est elle qui transcende, qui juge le sol. Si vous n’avez pas de terroir, mais de la chimie synthétique, ce n’est pas la même approche ».
D’accord, mais il a quoi en plus au goût, ce vin bio ? « Selon moi, une expression beaucoup plus juste des acidités. Ce sont des vins qui activent la salivation, plein d’énergie et que bien souvent, on digère mieux grâce aux levures indigènes, c’est-à-dire que l’on utilise celles des grappes du vin ».
Concernant l’avenir de cette filière, elle se montre rassurée car les vignerons et surtout les enfants de vignerons se convertissent, mais s’impatiente du rythme du processus quand pour elle le 100% bio est réaliste : « il n’y a aucune raison pour que tous les vins ne soient pas bio. A terme. Il faut un cheminement, mais c’est techniquement tout à fait faisable et souhaitable face au dérèglement climatique : le bio est plus résilient, aux maladies et aux climats changeants, donc fonçons ! ». Effectivement, nous sommes à l’heure des choix : irriguer des cultures viticoles comme c’est le cas en Argentine et en Afrique du Sud alors que nous sommes en stress hydrique, ou redécouvrir des cépages autochtones plus résistants et au goût des terroirs oubliés.
Et qui du cuivre, ou bouillie bordelaise, dont on dit des viticulteurs bio qu’ils en abusent ?
« Le bio encadre strictement son utilisation à 4kh par an par hectare, et un viticulteur bio le sait : son sol, son « terroir » est son premier capital, jamais il ne l’abîmerait sans compromettre sa certification, et le cuivre n’est pas toxique, quand il est utilisé en toute petite quantité et en faible concentration ni pour l’agriculteur ni pour la nappe phréatique, on en trouve même en complément alimentaire en parapharmacie, alors parlons plutôt robe, alcool, sucrosité, minéralité, longueur en bouche, voilà des mots appétissants »