Depuis 1999, les Jardins de Cocagne font pousser des emplois en insertion dans des fermes pionnières de l’agriculture biologique. « Nous faisons dialoguer le monde agricole et le monde social », explique Julien Adda, directeur du Réseau Cocagne. Et c’est bon pour tout le monde.
Il y a ceux (et celles) qui rêvent d’un pays de Cocagne, et il y a celles (et ceux), pragmatiques et engagés, qui préfèrent les bâtir. Julien Adda est de ceux-là. Infatigable militant associatif, il est venu au bio non pas par l’alimentation, mais par… les chaussures. « En 2006, j’ai participé à la création d’une marque de chaussures équitables à Romans-sur-Isère, avec tannage végétal du cuir, raconte-t-il. Cette aventure m’a fait rencontrer de nombreux acteurs de l’écosystème bio… » Le courant passe si bien que Julien Adda devient en 2010 délégué général de la FNAB, à laquelle il apporte son regard extérieur et son expérience du plaidoyer associatif. « Je viens d’un milieu rural mais c’est avec la FNAB que j’ai véritablement découvert le monde agricole, confie-t-il. Une découverte dont on ne revient jamais vraiment, parce qu’elle touche à l’essentiel. »
A la tête de la FNAB, il se bat pour faire reconnaître l’utilité publique du travail des agriculteurs bio – notamment la protection de ces biens communs que sont les sols et l’eau. Après sept ans de mandat, il se rapproche encore des champs et prend en 2017 la succession du co-fondateur du Réseau Cocagne. Son défi ? Rapprocher le monde agricole et le monde social, et réaliser l’alliance opérationnelle de ces deux logiques d’intérêt général : « Parlons des situations de travail dans l’agriculture et nous pourrons dialoguer et construire ensemble hors des positions caricaturales », propose-t-il.
Le goût de l’intérêt général
Le premier Jardin de Cocagne est né en 1991 dans le Doubs, sur une idée visionnaire empruntée à une ferme près de Genève: celle de paniers bio (à une époque où les AMAP n’existaient pas encore!) et solidaires car produit par des personnes issues de l’hébergement social. Le réseau, lui, s’est développé à partir de 1999, en démultipliant les embauches de ces personnes en situation de précarité dans des fermes associatives maraîchères labellisées AB. « Il y a une vraie dimension thérapeutique au travail de la terre en bio : c’est porteur de sens, et réellement gratifiant », insiste Julien Adda.
En 2023, le réseau Cocagne compte plus d’une centaine d’associations : des exploitations de 5 ha en moyenne où travaillent une trentaine de personnes, dont une vingtaine en contrat d’insertion (5000 personnes accompagnées chaque année!), et qui proposent des paniers aux familles adhérentes – ainsi que des paniers solidaires pour les personnes en situation de précarité alimentaire, des étudiants jusqu’aux familles nombreuses.
Les paniers solidaires, solvabilisés aux deux tiers, représentent environ 10 % de la production des Jardins. Avec l’ambition de passer de 120 000 à 350 000 paniers solidaires d’ici 3 ans grâce au programme Mieux manger pour tous du ministère des solidarités. « Pour cela, il va nous falloir structurer une vraie filière alimentaire solidaire », explique Julien Adda, qui prône toujours la coopération des acteurs plus que la concurrence : « Partout où nous sommes, nous recherchons tous les liens possibles avec les acteurs locaux ; on s’inscrit dans l’écosystème… et on contribue à l’étendre. »
Les « écopôles alimentaires » sur lesquels travaille l’association participent de cette logique de filière, du champ jusqu’aux assiettes des personnes les plus défavorisées.
Inventer un avenir bio et solidaire
Le Réseau Cocagne, qui ne manque jamais de projets, s’active en permanence pour trouver un maximum de débouchés pour les personnes en insertion. Les Jardins créent ainsi des activités de transformation alimentaire et des plateformes logistiques, pour enrichir la palette de métiers proposés – tout en s’intégrant dans les filières agricoles des territoires.
Le réseau Cocagne déploie également depuis 2021 une expérimentation nommée « Fais pousser ton emploi », qui s’inspire des chantiers d’insertion pour en faire un outil innovant d’accompagnement à l’installation. Car la transition alimentaire aura bien besoin d’agriculteurs, et d’agricultrices !
Des centres sociaux aux étoiles du chef
La transition se fera aussi par une distribution aussi large que possible des produits bio. Les Jardins de Cocagne s’y emploient avec auprès de leurs 100 000 familles adhérentes, et avec plus de 1 300 points de dépôt – dans les centres sociaux, les associations, les entreprises… et jusqu’aux cuisines d’un chef étoilé, en Ardèche !
Le Jardin du Terreau, à Cruas, travaille en effet avec Florian Descours, le talentueux et créatif chef du restaurant La Boria, à Privas. Jusqu’à organiser, en décembre 2023, un grand déjeuner délocalisé dans les serres du Jardin – de quoi magnifier les fruits et les légumes produits sur place ! « Le restaurant a aussi embauché en cuisine des personnes ayant fait leur parcours d’insertion au Terreau », précise Julien Adda.
La bio comme outil d’action publique
Le social ET le bio qui avancent main dans la main : c’est la clé pour la démocratisation de l’agriculture biologique. Et pour aller plus loin encore, Julien Adda propose… de revenir à ce qui a fait la force historique du mouvement : les circuits courts, et la constitution de communautés locales hors d’une pure logique de marché. « Nous devons revenir à un développement articulé autour des effets utiles du bio, explique-t-il. L’agriculture biologique n’a rien à gagner à jouer le jeu du marché : face à des acteurs plus gros et avec des contraintes moindres, les cartes sont truquées. » Il plaide donc pour que les pouvoirs publics reconnaissent le bio « comme un outil d’action publique ».
Un militant aux services d’entrepreneurs qui construisent des économies hors marché, et qui prône la coopération plus que la concurrence : on connaît des éditorialistes qui auraient tôt fait de le cataloguer en doux rêveur. S’ils savaient combien Julien Adda et les Jardins de Cocagne ont créé d’emplois, ils riraient peut-être un peu moins. Et qu’ils commandent donc un panier bio, tant qu’ils y sont.