Solutions de bio-contrôle, recouplage animal-végétal mais aussi semences, politique de prix et régimes alimentaires : l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’alimentation et l’Environnement (INRAE) examine la bio sous tous les angles, avec une grande question : si l’offre de produits bio devenait majoritaire, que faudrait-il changer ?
Cécile Détang-Dessendre, directrice scientifique adjointe Agriculture de l’Institut, nous détaille les enjeux de ce « métaprogramme » qui pourrait éclairer l’avenir de la filière.
Il y a la rigueur de la scientifique, le doute qui fait progresser la science, mais aussi la passion dans la voix et l’œil qui s’allume en parlant de certains projets de recherche : après 30 ans à INRAE, Cécile Detang-Dessendre nous fait vivre la science comme une aventure. On ne peut pas dire, pourtant, qu’elle ait choisi les sujets les plus spectaculaires. Economiste de formation, c’est en étudiant le marché du travail dans l’agriculture qu’elle s’est intéressée de près à l’agriculture biologique. « Moins de mécanisation, et plus de vente directe : l’AB mobilise plus de travail. » Quand INRAE lui propose d’intégrer la direction scientifique et de coordonner des recherches liées à la bio, elle accepte. Croiser les disciplines pour examiner toutes les facettes d’un sujet, c’est sa vision de la science. Et puis, entre temps, elle a acquis une conviction : avec le réchauffement climatique, « le statu quo n’est plus une option ». Et le défi est immense.
« Changement d’échelle de l’agriculture biologique : tout un (méta)programme
Mais face à la menace climatique que peut faire l’INRAE ? Eh bien… de la science. C’est-à-dire : poser les questions les plus pertinentes pour faire avancer la connaissance et les pratiques.
Et pour cela, l’Institut dispose de moyens que le monde entier envie à la France : un vivier de 4000 chercheurs, et 75 Unités expérimentales. Et une place de n°1 pour le nombre de publications scientifiques dans le domaine du bio.
« A lNRAE, nous n’avons pas de position dogmatique, insiste Cécile Détang-Dessendre. Des précurseurs se sont intéressés à la bio dès les années 80. Nous savons aujourd’hui qu’il est indispensable d’accélérer la transition vers une agriculture écologique. Et la bio est évidemment une des voies de cette transition »
En 2020, INRAE lance donc son métaprogramme METABIO. Son angle d’attaque ? Explorer un changement d’échelle de l’agriculture biologique, et anticiper ce qu’induirait un monde où l’offre de bio serait majoritaire. « Cela ne veut pas dire que nous nous sommes fixés comme objectif 50 % de bio, précise la scientifique. Mais puisque des changements de pratiques sont indispensables, il est de notre responsabilité de scientifiques de nous projeter, de prendre de l’avance et d’anticiper les besoins des agriculteurs ». Parmi les questions explorées, on peut citer celles-ci : Quel impact sur les semences ? Sur la distribution ? Sur l’organisation des filières ? Quelles ressources mobiliser pour produire suffisamment ? Comment développer des procédés de transformation biocompatibles ? Et comment accompagner les agriculteurs ? Et « ce que nous apprenons avec les recherches en AB bénéficie à tous les types d’agriculture ».
La bio sous tous les angles
Une vingtaine de projets lancés, tous pluridisciplinaires – et 350 chercheurs impliqués. Avec de la recherche fondamentale en laboratoire (citons le travail sur le microbiote des baies de raisins en AB), mais aussi de la recherche appliquée, à l’image de cet essai mené en Bourgogne avec plusieurs hectares de grande culture zéro intrant chimique. Ou ce projet en Guadeloupe, où 5 agriculteurs travailleront avec l’Unité expérimentale locale pour tester différentes configurations de recouplage animal/végétal.
Cette co-construction, Cécile Detang-Dessendre y tient. « Depuis la nuit des temps, les agriculteurs appliquent sur leurs terres une méthode scientifique, rappelle-t-elle : tenter des choses nouvelles, observer les résultats, et pousser ce qui marche… » Un cycle sans fin, que INRAE accompagne pour et avec les premiers concernés.
Essaimer ce qui marche, pour les agriculteurs et pour l’environnement
3 ans après le lancement du métaprogramme, qui court jusqu’en 2028, il n’est pas question encore de claironner des résultats. Mais déjà, des indications se dessinent. Sur l’impact de l’agriculture biologique sur la santé, par exemple. Ou encore sur des pratiques bio en plus décarbonées. Des expériences très prometteuses sont menées dans le domaine du bio-contrôle – comme ces phéromones qui semblent particulièrement efficaces contre la tordeuse de la grappe, un des poisons de la viticulture. Impossible de citer ici toutes les avancées, dans des domaines aussi variés que l’élasticité-prix des produits bio, les leviers possibles pour développer la production porcine en AB, le succès (avéré) du couplage lapins/pommiers, les formats bio les plus adaptés aux cantines scolaires ou encore l’impact des légumineuses sur la fourniture d’azote…
En élargissant l’angle d’analyse, les modélisations actuelles montrent que tenir les objectifs du Green Deal européen et atteindre la neutralité carbone en 2050 de l’économie européenne nécessitera une transformation majeure des systèmes agricoles et alimentaires et en particulier une adaptation de nos régimes alimentaires. « Ce qui tombe bien, note Cécile Detang-Dessendre, puisque le Plan Nutrition-Santé lui-même préconise de privilégier la viande de volaille et de limiter à 500 grammes la consommation des autres viandes par semaine » ; Nous consommons actuellement en moyenne 900 g de viande par semaine et par personne, selon les enquêtes de consommation de l’ANSES.
Au-delà du pilotage des programmes parfois extrêmement pointus, la directrice scientifique adjointe ne perd pas de vue les grands équilibres, et la nécessité de changer les modèles agricoles. Loin des discours sur les estrades et devant les plateaux de télévision, chercheurs et agriculteurs s’emploient ainsi chaque jour à prendre de l’avance sur la transition alimentaire, parce qu’elle entrainera la transition agricole.