Cyriaque Crosnier Mangeat, le pèlerin du bio.

Président et co-fondateur (avec son frère) d’AGROSEMENS et de La Semence Bio, à Aix-en-Provence, Cyriaque Crosnier-Mangeat se moque du court-termisme et des résultats trimestriels. Les crises conjoncturelles le laissent froid et rien n’entame sa conviction que le bio est la voie pour produire à manger écologiquement pour toutes et tous.

Au commencement était la semence. Dans notre modernité technologique aseptisée où nous nous sommes coupés du vivant, nous avons trop tendance à oublier les notions les plus élémentaires, notamment la manière dont nous produisons ce que nous mangeons. Pas Cyriaque. À quatre ans, quand d’autres se rêvent cosmonautes, son Graal à lui est « d’aller planter des graines là où elles ne poussent pas, en Afrique », un rêve qu’il réalisera d’ailleurs une vingtaine d’années plus tard, au Sénégal.

Avec son dernier frère, Judicaël, ingénieur ETP de formation, ils se lancent en sortant d’ école, en 2002, et créent AGROSEMENS, maison semencière pour les maraîchers 100% bio. « On ne voulait pas de compromis. Notre leitmotiv, c’est l’alignement. Travailler pour et avec les paysans, chercher en permanence ensemble et trouver les produits les plus efficaces, les plus résilients. Le cahier des charges bio précise bien qu’on ne traite les semences ni avant ni après récolte et cela donne des produits qui s’adaptent, qui résistent mieux aux ravageurs, qui sont moins gourmands en eau… La vraie solution à la crise climatique est dans la nature ».

 Toutes les théories sur notre adaptation au dérèglement climatique passant par davantage de technologies et d’OGM, le braquent : « les OGM sont une supercherie dans la mesure où l’on se place au-dessus du vivant et où l’on délègue à des entreprises un bien mondial de l’humanité, les semences à l’origine de nos futures récoltes ». Pour cet agronome de formation, les tenants du système productiviste actuel sont empreints d’hubris quand nous devrions au contraire nous emplir d’humilité, mot qui a la même racine qu’humus, à l’origine de toute son aventure professionnelle.

 De deux personnes en 2002, AGROSEMENS est devenue une PME solide la région SUD, avec 35 salariés à temps plein et soixante travailleurs à la haute saison, qui se répartissent entre la ferme expérimentale et l’entrepôt semencier. La maison est restée familiale (ils ont associé leur sœur), indépendante et est désormais leader du marché des artisans semenciers bio. L’indépendance, autre maître mot de l’entreprise leur fait refuser la grande distribution généraliste pour vendre des semences aux jardiniers amateurs sous la marque La Semence Bio®.

 Si l’entreprise prospère aujourd’hui, c’est après beaucoup de travail et une démarche de R&D permanente : « nous ne sommes pas seulement des agronomes, des techniciens ou des commerçants, mais tout cela à la fois pour être une réponse à la crise de la paysannerie. De fait, je ne considère pas nos clients comme tels, mais comme des partenaires et alliés avec qui nous élaborons et enrichissons notre catalogue au service du Vivant ». Leur grande bibliothèque d’Alexandrie à eux représente 900 espèces et variétés déclinées selon 6 000 conditionnements en stock.

Quand on lui parle de la crise du bio actuelle et de l’importance de produire plus pour nourrir la planète, il oscille entre goguenardise et colère : « quand j’entends parler d’autonomie et de souveraineté agricole, il faut savoir de quoi on parle. On doit importer du porc et du blé à la suite des récoltes de cette année, tout cela parce que nous sommes encore sur la vision du plan Marshall d’une agriculture très dérégulée et complètement indifférenciée. C’est une aberration car les sols et les paysages ne sont pas les mêmes, il faut respecter . Importer du low cette diversité naturelle dans ce que nous allons produire. 

 

On voit bien que ce modèle n’est pas résilient, ni pour les paysans, ni pour les habitants. Importer du low cost n’est pas plus une voie d’avenir, la seule qui vaille c’est le bio et local : la reconnexion avec nos territoires, avec nos paysans, que les Français se renseignent sur le fondamental, la nourriture et comprennent son juste prix. L’éclaircie entrevue pendant le COVID, pendant laquelle les français sont allés en masse se fournir chez les paysans est retombée, c’était une embellie conjoncturelle. Je voudrais qu’on réalise tous les jours l’importance des paysans : à 20h on applaudissait à raison les soignants, mais on aurait dû aussi applaudir les paysans qui nous nourrissent ». Mais à peine cette colère éclatée, Cyriaque reprend son bâton de pèlerin du bio et envisage l’avenir avec optimisme : « il ne peut pas en aller autrement, le système actuel tient sur des dettes et du virtuel, la seule agriculture qui rémunère dignement ceux qui la font, qui respecte le vivant, l’eau, les sols et la biodiversité, c’est la bio, tout le monde finira tôt ou tard par l’entendre ». À bon entendeur…