Parce que les terroirs des Antilles sont parfois délaissés, Natacha est un exemple atypique de retour à la terre pour accroître l’autosuffisance alimentaire de la Guadeloupe. En cinq ans, avec la marque Drain’Ailes, Natacha Kancel a développé une gamme de produits transformés locaux issue de l’agroforesterie et de l’agriculture biologique.
Il y a dix ans encore, Natacha Kancel tenait une quincaillerie avec son compagnon, après un parcours entre tourisme et technico-commercial. La forêt était encore loin ! Mais tout est allé très vite. En 2018, la quincaillerie doit fermer : elle doit inventer son nouveau métier. Ce sera un retour aux racines, pour celle qui a grandi « dans un milieu naturel », avec des grands-parents agriculteurs. « Je me rappelais ces fruits à profusion, en saison, mais je voyais bien comment les jeunes ici délaissent les produits locaux. Alors même que la pression est très forte ici sur le pouvoir d’achat ! »
Son intuition : pour redonner le goût des goyaves, papayes, bananes vertes…, il faut les transformer en des produits susceptibles de séduire les nouveaux consommateurs – sans pour autant tomber dans l’ultra-transformation – « il fallait que ce soit aussi simple et sain que possible ! »
L’envol de Drain’Ailes
Sirops, confitures, jus à base de plantes aromatiques, sauces, confitures peu sucrées, ou farines sans gluten parce qu’issues du fruit à pain ou de banane verte… Natacha conçoit et cuisine les recettes, assure la commercialisation avec son compagnon, sur les marchés et auprès de quelques détaillants… Et ça marche ! La marque Drain’Ailes commence à s’installer dans le paysage. Et pour faire écho à son idée initiale, Natacha commence à intervenir dans des écoles et des collèges, pour installer des petits jardins et développer chez les plus jeunes le goût de la cuisine créole. « Nous sommes un petit archipel et nous ne savons pas ce qui peut se passer demain, insiste-t-elle. Il nous faudrait viser une autonomie alimentaire d’au moins 70 %. Ce serait aussi un vrai soulagement pour les porte-monnaie, car tout est vraiment cher ici. »
Retour à la forêt… et aux terres ancestrales
L’activité n’a pas encore un an quand Natacha décide de remonter un maillon de la filière et de se lancer dans la production. C’est un concours de circonstances qui lui fait découvrir l’agro-foresterie… et qui la rapproche de grands-tantes centenaires (« des exemples de détermination et de résilience ! ») qui jadis exploitaient une terre au Gosier. « C’est un micro-climat humide, idéal pour l’agro-foresterie. Un terrain qui jadis était considéré comme le grenier de la Guadeloupe, et qui était à l’abandon ! Au-delà de l’attachement personnel, cela avait un vrai sens de redynamiser cette zone. » Elle démarre sur un hectare, avec trois essences seulement. L’année suivante, elle répond à un appel à projet de l’ONF avec d’autres producteurs pour exploiter 2 hectares, idéales pour produire de la vanille biologique sur l’île… et essaimer : quatre ans plus tard, ils sont une vingtaine de producteurs en AB ! Elle expérimente aussi, sur une troisième parcelle, le maraîchage sous une couverture végétale de bananiers, ainsi qu’une culture en plein champ de plantes aromatiques et médicinales.
Production, transformation, insertion
Aujourd’hui, Natacha déploie son activité sur 4,5 hectares, « en utilisant tous les supports verticaux possibles », pour ne se limiter à rien tout en respectant pleinement la nature et ses équilibres. Une cinquantaine d’espèces s’y côtoient désormais, « avec des cacaoyers superbes qui n’ont que trois ans et en sont à leur deuxième floraison », des poules ont rejoint la dernière parcelle – « et pour être réellement indépendants, nous faisons notre propre compost, et nous fabriquons nos propres terreaux, purins ou amendements. »
Elle cherche à s’agrandir encore, et développe désormais ses activités sous la forme d’une entreprise d’insertion. De l’agro-foresterie à la permaculture bio en passant par l’agrotransformation (connaissez-vous le sirop de basilic pourpre ? ou l’amertume du « zeb à pique »?), ce sont aujourd’hui 24 femmes qui travaillent pour Drain’Ailes : elles y apprennent un métier et peuvent subvenir aux besoins de leurs famille, elles qui souvent sont des mères isolées. Elles y développent aussi le goût des produits locaux et de l’autonomie alimentaire, qu’elles pourront transmettre à leur tour.
L’ensemble de la production est écoulé auprès de détaillants locaux, quelques commerces en ligne – et les marchés, le week-end, en cas de surplus. Et si le nombre de salariées en insertion a doublé dès la première année, Natacha Kancel ne veut surtout pas s’arrêter là : celle qui entend « laisser le temps à la nature de faire son œuvre » ne compte pas le sien pour développer son activité, toujours guidée par cette vision : « Commençons par faire attention à ce qu’il y a autour de nous, et respectons ce que nous avons reçu. Nous avons la chance d’avoir aux Antilles un climat qui permet de produire toute l’année. Nous autres humains faisons partie d’un écosystème magnifique – mais nous avons trop tendance à le détruire. Faisons plutôt en sorte de conserver ce que nous avons – et de le sublimer ! »