20 % de bio dans les cantines ! On le sait, l’objectif fixé par la loi Egalim n’a pas été atteint. Dans son collège de l’Aude, pourtant, Pierre-Yves Rommelaere dépasse les 80 % de bio, sans dépasser le budget. Comment ? Eh bien… En cuisinant. Portrait d’un cuisinier fier de son métier, et qu’on aurait aimé avoir eu au collège.
C’est l’histoire d’un homme qui quitte l’école après la 3e, en butte avec le système scolaire, et qui y revient au collège vingt-cinq ans après, pour tout changer… en cuisine.
« Une autre cantine est possible », c’est le titre du livre qu’il a publié en 2021 avec le sociologue Marc Perrenoud, et qui tord le cou aux idées reçues – à commencer par celle-ci : « La cantine c’est jamais bon ». Mais si, ça peut l’être !
De la cuisine gastronomique à la cantine
Avant de publier ce livre, Pierre-Yves Rommelaere a connu bien des expériences dans la restauration – de l’école hôtelière jusqu’à un restaurant gastronomique. Puis il a rencontré sa femme, à Toulouse, un enfant est né… « Comme beaucoup de cuisiniers, j’ai senti le besoin de me poser, donc d’envisager la restauration collective », dit-il.
Un établissement médicalisé pour personnes âgées lui propose un CDI, près de chez lui. Il accepte, sans passion. Pierre-Yves Rommelaere le reconnaît volontiers : « La restauration collective est plutôt méprisée dans les écoles de cuisine. Bien souvent, les chefs ne savent pas comment faire, alors ils font comme leurs prédécesseurs… Moi aussi, j’ai commencé par servir des macédoines de légumes en boîte. J’avais plus de temps pour moi, certes, mais je perdais le goût de cuisiner. Je n’étais pas très fier… ».
Retrouver le goût de cuisiner
Un jour, Pierre-Yves décide de briser le cercle vicieux, et de retrouver un peu de plaisir dans son travail. « Un dessert surgelé était au menu. J’ai décidé de le laisser dans le congélateur, et de me lancer dans une tarte aux pommes. Quatre ingrédients, rien de plus simple… Le lendemain, on m’a raconté que les résidents chantaient à table ! »
Le changement est impulsé. Petit à petit, le surgelé disparaît des menus. Pierre-Yves retrouve le goût de cuisiner, et les résidents celui de manger. Qui dit mieux ? « Quand on change la cuisine, on change aussi la vie qui va autour », conclut le cuisinier. De cette expérience, il retiendra l’habitude… de bousculer les habitudes. « En restauration collective, les contraintes réglementaires sont telles que dès que l’on veut changer quelque chose, on vous dit : ce n’est pas possible. Mais c’est possible ! »
Du bio pour nos enfants !
Jusqu’ici, l’histoire de Pierre-Yves Rommelaere s’écrit loin de l’agriculture biologique. Mais tout change quand il est embauché par le collège de Lézignan, pour gérer une cantine d’environ 500 couverts. « Quand je suis arrivé, il y avait un yaourt bio une fois par semaine, rien de plus. Mais il y avait une volonté politique de développer le bio et les produits locaux… » Une volonté qu’il partage : « Avec des enfants, se soucier de la provenance des aliments, c’est essentiel ! »
Très vite, il décide qu’il ira plus loin que ce qu’impose la loi Egalim. Alors, avec les quatre employés de la cantine, Pierre-Yves change les habitudes. L’équipe se met à cuisiner des produits bruts, à varier les repas. La lutte contre le gaspillage devient une priorité. Le levier ? Que les enfants aiment ce qu’ils mangent. Pour mieux faire accepter légumes et légumineuses, Pierre-Yves les propose parfois en tartinades. Et il n’hésite pas à sortir de sa cuisine pour présenter ses recettes. « Au collège, on apprend aussi à manger ! dit-il. Quand je propose un plat indien végétarien, j’explique l’origine du plat. Chacun se sert selon sa faim, et petit à petit, ils s’y font. Et on jette beaucoup moins qu’avant ! »
Non, le bio n’est pas plus cher !
Le collège de Lézignan dépasse désormais les 80 % de produits bio – locaux à près de 60 %. Les coûts ont-ils pour autant explosé ? Pas du tout – même avec l’inflation de 2023. « On est entre 2,30 et 2,40 € par repas, détaille le cuisinier. La recette ? Moins de gaspillage, mais aussi moins de produits. « Avec des épices bio, pas besoin de mettre tout le sachet pour donner du goût », sourit-il. Et quand on a de bons produits, on peut cuisiner simple ». Autre exemple marquant : le poisson. « Un poisson surgelé rend 30 % d’eau. En cuisinant bien un poisson frais, vous avez autant de matière pour le même prix… et c’est meilleur. »
Et le cuisinier de mettre au défi ses collègues : « Je les invite à venir faire les courses au marché avec moi le samedi matin, ils verront si c’est plus vraiment cher de cuisiner bio ! »
Un modèle à suivre
Avec son livre et quelques interventions dans les médias, Pierre-Yves Rommelaere entend « mettre en avant le travail des cuisiniers, et des démarches nouvelles ». Sur Instagram, il partage ses recettes… et d’autres cuisiniers le contactent pour des conseils. L’hôpital de Lézignan l’a appelé récemment, intéressé par ses fournisseurs locaux. « On commence à faire tâche d’huile, dit-il. Et on montre que la restauration collective peut être un soutien à l’agriculture bio et locale, et un vrai levier pour la transition que l’on souhaite tous. »
Bien sûr, il en faudrait bien d’autres que lui pour que cette transition s’accélère. « Il faudrait bouger au niveau de la formation, préconise-t-il. Revenir aux bases : les produits, les saisons, la cuisson… »
Les bases : n’est-ce pas ce que l’on est censé apprendre, au collège ?
Bon appétit.