Natacha Sautereau : science et conscience

Depuis AgroParisTech, Natacha Sautereau n’a cessé les aller-retours entre la science et les pratiques de terrain. Depuis 2015 pour l’ITAB, Institut Technique de l’Agriculture Biologique, elle y est en charge du pôle Durabilité et Transition.

Près de 30 ans qu’elle étudie les « systèmes biologiques » ! Natacha Sautereau pourrait raconter à elle seule une histoire de la bio au XXIe siècle. Mais ne comptez pas sur elle pour se mettre en avant : elle a la science modeste, et tournée vers ce qui reste à découvrir.

Ingénieure agronome, elle intègre d’abord la FDCETA (Fédération des Centres d’Etudes Techniques Agricoles) avec un CETA Bio, puis la Chambre d’agriculture du Vaucluse, au service des agriculteurs engagés dans une transition vers l’AB. « Ce sont les agriculteurs qui m’ont fait découvrir la bio, dit-elle aujourd’hui. J’ai beaucoup appris au contact de ces pionniers ».

L’ITAB, au service de la transition agricole et alimentaire

Cette porte ouverte sur la bio ne se refermera jamais, avec des allers-retours incessants entre le terrain et la recherche académique, dont un passage par l’INRAE pour étudier notamment les déterminants des transitions vers l’agriculture biologique. En 2015, elle intègre l’ITAB, l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques, qui vise à construire et partager des connaissances techniques et scientifiques pour transformer notre agriculture et notre alimentation vers des modèles durables, résilients et équitables . Les Instituts techniques sont des « maillons » entre la recherche (INRAE, INSERM, …) et le développement (Chambres d’agriculture, GAB-groupements d’agriculteurs bio-).L’ITAB  travaille de façon transversale sur la bio, avec, notamment, les autres Instituts Techniques, organisés selon les filières, des équipes  de recherche ainsi qu’avec les structures d’accompagnement des  des agriculteurs, des transformateurs, mais aussi avec l’enseignement agricole, et/ou avec des bureaux d’étude pour  répondre aux besoins des entreprises de l’amont, de l’aval, mais aussi des politiques publiques, de la société civile, etc.

Ces projets couvrent des champs très divers : travaux sur la gestion des adventices (les « mauvaises herbes » ), et sur les couverts végétaux, recherche de solutions pour une alimentation 100 % bio des porcs et volailles, expérimentation d’alternatives à l’usage du cuivre , notamment dans les vignes… L’ITAB a contribué à faire reconnaître au niveau européen un grand nombre de substances naturelles pouvant servir d’intrants (autant d’alternatives aux pesticides de synthèse). L‘Institut a également réussi à faire évoluer la réglementation de l’UE sur les semences, en ouvrant la possibilité de recourir à des semences « paysannes » – une avancée essentielle, pour promouvoir la biodiversité !

Produire du discernement

La liste des projets et des progrès est longue. Elle pourrait même être encore plus longue si les moyens financiers avaient suivi le développement de la bio. « Au début des années 2020, j’ai pensé que nous avions atteint une forme de consensus autour des bienfaits du mode de production bio. De plus en plus de gens s’y convertissaient, des personnes potentiellement éloignés de la bio reconnaissaient les vertus de ce mode de production, et puis… » Et puis, on connaît la suite, le contexte inflationniste qui génère une contraction du marché bio, des allégations concurrentes qui génèrent du doute auprès des consommateurs, …

L’Institut s’attache à à « produire du discernement » pour éclairer agriculteurs, transformateurs, décideurs et consommateurs sur le rôle de l’agriculture biologique dans la transition alimentaire et agricole.

Rendre concrète la durabilité pour accompagner la transition

Natacha Sautereau, pour sa part,  étudie « les compromis possibles entre les différentes dimensions de la durabilité » : environnemental, social, économique… Elle s’attelle notamment à un grand défi : comment quantifier les coûts des agricultures bio et non bio en matière de santé, de destruction de la biodiversité, de pollution des eaux et des sols ? Dans un monde où ce qui n’est pas chiffré tend à être invisibilisé, cela faciliterait la mise en lumière des apports de l’agriculture biologique dans pratiquement tous les domaines… Las, comme souvent quand on pratique la science avec conscience, c’est un peu plus compliqué que ça, même quand des milliers de publications scientifiques ont déjà démontré les bénéfices sociétaux de l’AB. « Quantifier ces externalités est trop complexe pour que l’on puisse avancer un chiffre précis, explique Natacha Sautereau. Mais nous pouvons donner des ordres de grandeur – et rendre visibles les avantages des pratiques agricoles durables. »

Rendre visible : tel est par exemple l’objectif de l’outil BioSycan sur lequel travaille le pôle Durabilité-Transition de l’ITAB, et qui permettra bientôt d’estimer l’impact des différentes pratiques agricoles sur la biodiversité, sans avoir à calculer, parcelle par parcelle, le nombre de vers de terre, d’oiseaux ou de papillons. À suivre en 2025 !

Au-delà des projets portés au sein de l’ITAB, Natacha Sautereau puise son optimisme dans les avancées de « l’écosystème de recherche » autour de l’AB. Elle pointe la multiplication des interdictions de substances chimiques en Europe, ou encore le « très inspirant » projet « Ten Years For Agroecology in Europe » mené par l’Iddri, qui donne concrètement à voir un scénario permettant de combiner transition agricole, évolution des régimes alimentaires, souveraineté alimentaire et balance commerciale avec des exports maintenus.. (voir notre portrait de Xavier Poux)

Elle s’applique aussi à faire valoir cette vision agroécologique dans le futur étiquetage environnemental des produits agro-alimentaires. Un travail sur les métriques pour éviter une approche trop centrée sur le seul carbone et mieux prendre en compte les impacts sur l’eau, la biodiversité, et la santé. Les externalités, toujours !

Comme le rappelle Natacha Sautereau : « tout ce que l’on produit comme savoirs sur l’agriculture biologique est valable pour l’ensemble des agriculteurs ». Un apport fondamental, pratique, et ô combien durable.