Longtemps à la tête du guide des vins Gault&Millau, Pierre Guigui est un infatigable défenseur du bon vin, du « savoir-boire » et des vignerons qui travaillent la terre en respectant le vivant. En bio, bien sûr. Son credo ? La certification bio devrait être la base pour tous les vignobles, à la fois pour l’environnement… et pour le plaisir du vin.
Au début des années 1990, un nouveau venu intègre le petit monde des sommeliers parisiens. Il s’appelle Pierre Guigui, il n’est pas du sérail mais il ne va pas tarder à s’en faire accepter, avec son goût sûr du vin et du partage, et sa connaissance pointue du travail des vignes. Son franc-parler aussi, certainement, lui qui n’hésite pas à questionner certaines idées reçues. « J’entendais parfois de grands dégustateurs affirmer qu’ils n’aimaient pas le vin bio. Je leur demandais : vous en avez goûté beaucoup ? Ils n’en avaient bu que deux ou trois dans l’année ! La plupart en étaient restés au cliché du bio baba-cool… »
Le premier concours des vins bio
Pierre Guigui, lui , s’est déjà converti au bio pour son alimentation de tous les jours. Il sait ce que la certification signifie en termes de respect des sols, de protection des cours d’eau et de la biodiversité. Il sait aussi que ce n’est pas un discours qui va convaincre ses collègues. Alors une idée lui vient : il va créer… le premier concours des vins biologiques.
Nous sommes en 1996. Pierre Guigui réunit des producteurs bio de toutes les régions vinicoles de France, et fait goûter leurs vins à des spécialistes. Une dégustation à l’aveugle, bien sûr. Et pour donner plus d’éclat à sa démonstration, il glisse une petite astuce : au milieu des vins bio, il ajoute quelques crus non-bio médaillés dans divers concours… Et ça marche ! Le concours Amphore est pérennisé, et Pierre Guigui ne cessera jamais plus de faire valoir les atouts des vins bio, sans pour autant être vu comme un « militant encarté ».
Une des grandes plumes françaises du vin
A la fin des années 1990, Pierre Guigui publie son premier livre – « en indiquant si du soufre était ajouté dans les vins. C’était précurseur ! ». Il deviendra par la suite rédacteur en chef du guide des vins Gault&Millau, tout en continuant à faire la part belle aux vins bio, et aux vignerons qui respectent le vivant sur leurs terres. Et si le bio s’est étendu depuis jusqu’à couvrir 20 % du vignoble français, ne comptez pas sur lui pour s’en féliciter. « Ce n’est pas du tout assez ! tonne-t-il. 20 % de bio, cela veut dire 80 % de non-bio, avec de potentiels pesticides de synthèse. »
Car au-delà du vin, Pierre Guigui voit la qualité des sols, des nappes phréatiques et des cours d’eau… « Le bio est un peu plus cher pour le consommateur, ne le cachons pas, avec des coûts de production plus élevés. Mais si on ajoute les coûts de dépollution liés aux nitrates et autres pesticides dans l’eau, le conventionnel est plus cher pour la collectivité ! »
Pour la transparence
Pierre Guigui regrette que tous les faux débats autour de l’agriculture biologique viennent polluer les discussions sur le vin. Comme il s’extasierait sur la finesse et les épices douces d’un crémant d’Alsace (Trilogie 2009, domaine Pierre Engel), il s’emporte contre certains producteurs de vins « nature » qui se disent « plus bio que le bio » mais qui se passent de la certification AB ou même du label Vin Méthode Nature, rendant impossible de savoir si oui ou non ils répandent de la chimie synthétique dans la nature.
Et il soupire quand on évoque cet autre grand cliché des discussions de comptoir : les vignerons bio polluent eux aussi, puisqu’ils utilisent du cuivre. La réponse fuse : « Bizarrement, personne ne parle du cuivre dans le non-bio… en plus des potentiels pesticides de synthèse ! Cette histoire de cuivre, c’est un paravent pour qui veut éviter toute discussion sérieuse. Un écran de fumée. » Et de rappeler que « le label AB devrait être la base » pour tout le monde, chaque vigneron était libre d’aller encore plus loin. « Les études du laboratoire Dubernet montrent que les vignes traitées en bio et en biodynamie laissent des sols en meilleure santé que les vignes dites conventionnelles : voilà qui devrait suffire à la démonstration ! », ajoute-t-il. Pierre Guigui, on l’aura compris, aime les débats sérieux, appuyés sur des faits. Il aimerait, par exemple, que tous les vins affichent leur taux de SO2 – « que l’on voie ceux vraiment qui en ajoutent, et les autres ».
Vivacité du bio
Reste à poursuivre le débat un verre à la main, à l’heure de la dégustation. Les vins bio se distinguent-ils des autres ? Pierre Guigui souligne leur salinité (d’aucuns diraient « minéralité »), leur vivacité, et « leur équilibre souvent plus intéressant, lié aux pratiques à plus faible rendement ». Et le goût, alors ? Sans vouloir généraliser, l’expert revient à la pratique de la vigne : « Travailler en bio, c’est une pratique plus holistique, qui oblige à maintenir le vivant dans le vignoble. Ce soin-là, il se retrouve dans le vin. Voilà pourquoi vous avez souvent plus de plaisir au final. »
Le même raisonnement vaut pour les crémants. « Mieux vaut un bon crémant », rappelle le titre de son dernier ouvrage. Et Pierre Guigui de pousser le bouchon plus loin encore : « Entre un bon crémant bio et un champagne non-bio, la question du pouvoir d’achat ne se pose même plus ! Pour nos sols et pour notre santé, il faudrait une politique agricole globale qui permette de mettre le bio à portée de tous. Dans l’assiette, et dans les verres, en toute transparence. »
Des paroles qui résonnent bien après que la conversation soit terminée, comme un vin qui reste en bouche et déploie ses arômes après une attaque franche.
Bonne dégustation !