Jeanne Fabre, vigneronne et Présidente du Salon Millésime Bio préfère « accompagner le vivant, plutôt que maîtriser »

Millésime Bio est le plus grand salon de vin bio au monde qui se déroule à Montpellier chaque fin de janvier. Sa présidente défend une agriculture intégralement bio se joue des individus et ne chérit que les collectifs, aussi dit-elle « nous » à tout bout de champ (bio) avec un naturel confondant.

Dans la famille Fabre, on est vignerons depuis au moins 1605, et son aïeul Jaume Fabre exerçait à Gasparets, à 5km à peine du Luc-sur-Orbieu vers Narbonne, où elle office un peu plus de quatre siècles plus tard.

Jeanne fut tour à tour éducatrice spécialisée en Seine Saint-Denis, rédactrice de guide touristiques en Amérique du sud, communicante dans diverses agences parisiennes : un sillon loin du nid familial… Mais comme pour ses frères et sœurs, il lui manquait du sens, et c’est ce qui les a fait revenir. Sa sœur Clémence est désormais à la gestion, et Jeanne au développement des 5 domaines issus de l’alliance de familles du Minervois et des Corbières « avec la complémentarité de chacun, la Tour de Rieux, le Château Coulon, le Château de Luc et le Château Fabre Gasparets ». Complémentaire dans les cépages, les terroirs, les arômes, mais tous produits en 100% bio depuis que le label AB existe : « je ne connais pas autre chose ! Si le label est une exigence évidente, nous ne l’envisageons avec l’addition de cases à cocher et sommes d’ailleurs poussés par des clients Suisses à aller encore plus loin en termes de haies, de biodiversité, de cours d’eau, d’équilibre global… Et on ne le voit pas comme des contraintes, mais comme une manière de voir le vivant s’épanouir partout sur le domaine : quel plaisir de pouvoir aller chercher ses herbes aromatiques ou ses salades au pied des vignes ! ».

Jeanne aime rappeler que l’Occitanie est la première région productrice de vin bio d’Europe, avant tout grâce à un climat très propice pour la vigne avec très peu de pression du mildiou. Quand on lui parle de chiffres, elle répond : « demande-t-on a un artiste combien d’hectares de toiles il peint par an ? ». 1 million de bouteilles par an,X% du chiffre réalisé à l’export  30 salariés, la dimension collective primant sur tout : « le bio est une idée plus grande que nous, ne peut être un bastion, il doit faire foule. Quand je dis cela, je ne fais pas l’économie des labels : tant que les autres refuseront d’être vérifiés par des organismes indépendants comme pour AB, ils dérouteront consommateurs comme producteurs ». 

Et pour promouvoir au mieux les vignes et les vins bios, quoi de mieux qu’un salon d’envergure mondiale ? Sa présidente s’enthousiasme :« Il est essentiel d’exporter notre savoir-faire. Ce salon est spécial justement par il est porté par et pour les vignerons »

Mais le secteur du vin traverse une crise « La déconsommation de vin est un phénomène au long cours, la qualité va faire le tri. La montée en puissance depuis 30 ans est phénoménale, nous vivons la meilleure époque de l’histoire pour goûter des grands vins ! Le bio aussi connaît cette concurrence accrue avec une qualité inégalée. L’époque où on disait « c’est bio et pourtant c’est bon » est révolue. Nous arrivons à un degré de précision dans l’accompagnement -surtout pas la maîtrise !- du vivant qui permet de sentir les terroirs, d’abandonner la standardisation, et surtout célébrer le singulier dans nos vins bios. »

Pierre Guigui : savoir-boire et saveurs bio

Longtemps à la tête du guide des vins Gault&Millau, Pierre Guigui est un infatigable défenseur du bon vin, du « savoir-boire » et des vignerons qui travaillent la terre en respectant le vivant. En bio, bien sûr. Son credo ? La certification bio devrait être la base pour tous les vignobles, à la fois pour l’environnement… et pour le plaisir du vin.

Au début des années 1990, un nouveau venu intègre le petit monde des sommeliers parisiens. Il s’appelle Pierre Guigui, il n’est pas du sérail mais il ne va pas tarder à s’en faire accepter, avec son goût sûr du vin et du partage, et sa connaissance pointue du travail des vignes. Son franc-parler aussi, certainement, lui qui n’hésite pas à questionner certaines idées reçues. « J’entendais parfois de grands dégustateurs affirmer qu’ils n’aimaient pas le vin bio. Je leur demandais : vous en avez goûté beaucoup ? Ils n’en avaient bu que deux ou trois dans l’année ! La plupart en étaient restés au cliché du bio baba-cool… »

Le premier concours des vins bio

Pierre Guigui, lui , s’est déjà converti au bio pour son alimentation de tous les jours. Il sait ce que la certification signifie en termes de respect des sols, de protection des cours d’eau et de la biodiversité. Il sait aussi que ce n’est pas un discours qui va convaincre ses collègues. Alors une idée lui vient : il va créer… le premier concours des vins biologiques.

Nous sommes en 1996. Pierre Guigui réunit des producteurs bio de toutes les régions vinicoles de France, et fait goûter leurs vins à des spécialistes. Une dégustation à l’aveugle, bien sûr. Et pour donner plus d’éclat à sa démonstration, il glisse une petite astuce : au milieu des vins bio, il ajoute quelques crus non-bio médaillés dans divers concours… Et ça marche ! Le concours Amphore est pérennisé, et Pierre Guigui ne cessera jamais plus de faire valoir les atouts des vins bio, sans pour autant être vu comme un « militant encarté ».

 

Une des grandes plumes françaises du vin

A la fin des années 1990, Pierre Guigui publie son premier livre – « en indiquant si du soufre était ajouté dans les vins. C’était précurseur ! ». Il deviendra par la suite rédacteur en chef du guide des vins Gault&Millau, tout en continuant à faire la part belle aux vins bio, et aux vignerons qui respectent le vivant sur leurs terres. Et si le bio s’est étendu depuis jusqu’à couvrir 20 % du vignoble français, ne comptez pas sur lui pour s’en féliciter. « Ce n’est pas du tout assez ! tonne-t-il. 20 % de bio, cela veut dire 80 % de non-bio, avec de potentiels pesticides de synthèse. »

Car au-delà du vin, Pierre Guigui voit la qualité des sols, des nappes phréatiques et des cours d’eau… « Le bio est un peu plus cher pour le consommateur, ne le cachons pas, avec des coûts de production plus élevés. Mais si on ajoute les coûts de dépollution liés aux nitrates et autres pesticides dans l’eau, le conventionnel est plus cher pour la collectivité ! »

Pour la transparence

Pierre Guigui regrette que tous les faux débats autour de l’agriculture biologique viennent polluer les discussions sur le vin. Comme il s’extasierait sur la finesse et les épices douces d’un crémant d’Alsace (Trilogie 2009, domaine Pierre Engel), il s’emporte contre certains producteurs de vins « nature » qui se disent « plus bio que le bio » mais qui se passent de la certification AB ou même du label Vin Méthode Nature, rendant impossible de savoir si oui ou non ils répandent de la chimie synthétique dans la nature.

Et il soupire quand on évoque cet autre grand cliché des discussions de comptoir : les vignerons bio polluent eux aussi, puisqu’ils utilisent du cuivre. La réponse fuse : « Bizarrement, personne ne parle du cuivre dans le non-bio… en plus des potentiels pesticides de synthèse ! Cette histoire de cuivre, c’est un paravent pour qui veut éviter toute discussion sérieuse. Un écran de fumée. » Et de rappeler que « le label AB devrait être la base » pour tout le monde, chaque vigneron était libre d’aller encore plus loin. « Les études du laboratoire Dubernet montrent que les vignes traitées en bio et en biodynamie laissent des sols en meilleure santé que les vignes dites conventionnelles : voilà qui devrait suffire à la démonstration ! », ajoute-t-il. Pierre Guigui, on l’aura compris, aime les débats sérieux, appuyés sur des faits. Il aimerait, par exemple, que tous les vins affichent leur taux de SO2 – « que l’on voie ceux vraiment qui en ajoutent, et les autres ».

 

Vivacité du bio

Reste à poursuivre le débat un verre à la main, à l’heure de la dégustation. Les vins bio se distinguent-ils des autres ? Pierre Guigui souligne leur salinité (d’aucuns diraient « minéralité »), leur vivacité, et « leur équilibre souvent plus intéressant, lié aux pratiques à plus faible rendement ». Et le goût, alors ? Sans vouloir généraliser, l’expert revient à la pratique de la vigne : « Travailler en bio, c’est une pratique plus holistique, qui oblige à maintenir le vivant dans le vignoble. Ce soin-là, il se retrouve dans le vin. Voilà pourquoi vous avez souvent plus de plaisir au final. »

Le même raisonnement vaut pour les crémants. « Mieux vaut un bon crémant », rappelle le titre de son dernier ouvrage. Et Pierre Guigui de pousser le bouchon plus loin encore : « Entre un bon crémant bio et un champagne non-bio, la question du pouvoir d’achat ne se pose même plus ! Pour nos sols et pour notre santé, il faudrait une politique agricole globale qui permette de mettre le bio à portée de tous. Dans l’assiette, et dans les verres, en toute transparence. »

Des paroles qui résonnent bien après que la conversation soit terminée, comme un vin qui reste en bouche et déploie ses arômes après une attaque franche.

Bonne dégustation !

 

 

Natacha Sautereau : science et conscience

Depuis AgroParisTech, Natacha Sautereau n’a cessé les aller-retours entre la science et les pratiques de terrain. Depuis 2015 pour l’ITAB, Institut Technique de l’Agriculture Biologique, elle y est en charge du pôle Durabilité et Transition.

Près de 30 ans qu’elle étudie les « systèmes biologiques » ! Natacha Sautereau pourrait raconter à elle seule une histoire de la bio au XXIe siècle. Mais ne comptez pas sur elle pour se mettre en avant : elle a la science modeste, et tournée vers ce qui reste à découvrir.

Ingénieure agronome, elle intègre d’abord la FDCETA (Fédération des Centres d’Etudes Techniques Agricoles) avec un CETA Bio, puis la Chambre d’agriculture du Vaucluse, au service des agriculteurs engagés dans une transition vers l’AB. « Ce sont les agriculteurs qui m’ont fait découvrir la bio, dit-elle aujourd’hui. J’ai beaucoup appris au contact de ces pionniers ».

L’ITAB, au service de la transition agricole et alimentaire

Cette porte ouverte sur la bio ne se refermera jamais, avec des allers-retours incessants entre le terrain et la recherche académique, dont un passage par l’INRAE pour étudier notamment les déterminants des transitions vers l’agriculture biologique. En 2015, elle intègre l’ITAB, l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques, qui vise à construire et partager des connaissances techniques et scientifiques pour transformer notre agriculture et notre alimentation vers des modèles durables, résilients et équitables . Les Instituts techniques sont des « maillons » entre la recherche (INRAE, INSERM, …) et le développement (Chambres d’agriculture, GAB-groupements d’agriculteurs bio-).L’ITAB  travaille de façon transversale sur la bio, avec, notamment, les autres Instituts Techniques, organisés selon les filières, des équipes  de recherche ainsi qu’avec les structures d’accompagnement des  des agriculteurs, des transformateurs, mais aussi avec l’enseignement agricole, et/ou avec des bureaux d’étude pour  répondre aux besoins des entreprises de l’amont, de l’aval, mais aussi des politiques publiques, de la société civile, etc.

Ces projets couvrent des champs très divers : travaux sur la gestion des adventices (les « mauvaises herbes » ), et sur les couverts végétaux, recherche de solutions pour une alimentation 100 % bio des porcs et volailles, expérimentation d’alternatives à l’usage du cuivre , notamment dans les vignes… L’ITAB a contribué à faire reconnaître au niveau européen un grand nombre de substances naturelles pouvant servir d’intrants (autant d’alternatives aux pesticides de synthèse). L‘Institut a également réussi à faire évoluer la réglementation de l’UE sur les semences, en ouvrant la possibilité de recourir à des semences « paysannes » – une avancée essentielle, pour promouvoir la biodiversité !

Produire du discernement

La liste des projets et des progrès est longue. Elle pourrait même être encore plus longue si les moyens financiers avaient suivi le développement de la bio. « Au début des années 2020, j’ai pensé que nous avions atteint une forme de consensus autour des bienfaits du mode de production bio. De plus en plus de gens s’y convertissaient, des personnes potentiellement éloignés de la bio reconnaissaient les vertus de ce mode de production, et puis… » Et puis, on connaît la suite, le contexte inflationniste qui génère une contraction du marché bio, des allégations concurrentes qui génèrent du doute auprès des consommateurs, …

L’Institut s’attache à à « produire du discernement » pour éclairer agriculteurs, transformateurs, décideurs et consommateurs sur le rôle de l’agriculture biologique dans la transition alimentaire et agricole.

Rendre concrète la durabilité pour accompagner la transition

Natacha Sautereau, pour sa part,  étudie « les compromis possibles entre les différentes dimensions de la durabilité » : environnemental, social, économique… Elle s’attelle notamment à un grand défi : comment quantifier les coûts des agricultures bio et non bio en matière de santé, de destruction de la biodiversité, de pollution des eaux et des sols ? Dans un monde où ce qui n’est pas chiffré tend à être invisibilisé, cela faciliterait la mise en lumière des apports de l’agriculture biologique dans pratiquement tous les domaines… Las, comme souvent quand on pratique la science avec conscience, c’est un peu plus compliqué que ça, même quand des milliers de publications scientifiques ont déjà démontré les bénéfices sociétaux de l’AB. « Quantifier ces externalités est trop complexe pour que l’on puisse avancer un chiffre précis, explique Natacha Sautereau. Mais nous pouvons donner des ordres de grandeur – et rendre visibles les avantages des pratiques agricoles durables. »

Rendre visible : tel est par exemple l’objectif de l’outil BioSycan sur lequel travaille le pôle Durabilité-Transition de l’ITAB, et qui permettra bientôt d’estimer l’impact des différentes pratiques agricoles sur la biodiversité, sans avoir à calculer, parcelle par parcelle, le nombre de vers de terre, d’oiseaux ou de papillons. À suivre en 2025 !

Au-delà des projets portés au sein de l’ITAB, Natacha Sautereau puise son optimisme dans les avancées de « l’écosystème de recherche » autour de l’AB. Elle pointe la multiplication des interdictions de substances chimiques en Europe, ou encore le « très inspirant » projet « Ten Years For Agroecology in Europe » mené par l’Iddri, qui donne concrètement à voir un scénario permettant de combiner transition agricole, évolution des régimes alimentaires, souveraineté alimentaire et balance commerciale avec des exports maintenus.. (voir notre portrait de Xavier Poux)

Elle s’applique aussi à faire valoir cette vision agroécologique dans le futur étiquetage environnemental des produits agro-alimentaires. Un travail sur les métriques pour éviter une approche trop centrée sur le seul carbone et mieux prendre en compte les impacts sur l’eau, la biodiversité, et la santé. Les externalités, toujours !

Comme le rappelle Natacha Sautereau : « tout ce que l’on produit comme savoirs sur l’agriculture biologique est valable pour l’ensemble des agriculteurs ». Un apport fondamental, pratique, et ô combien durable.

Louis Frack, le trublion du bio.

Qu’on se le dise, manger bio ne signifie pas automatiquement manger maigre et équilibré. On peut tout à fait assumer un certain lâché prise culinaire en respectant au mieux l’environnement et en donnant des gages aux paysans bio. Avec ses 27 restaurants partout en France, la chaîne Bio Burger pèse à elle seule plus de 3% de la consommation de bio en restauration commerciale. Et son fondateur Louis Frack ne compte pas s’arrêter là.

Né en 1988, 9 ans après l’ouverture du premier Mc Donald’s en France, Louis Frack est de la génération burger. Après l’avoir fréquenté enfant, dès le lycée l’iconique enseigne le laisse froid : « mes parents comme ceux d’Anthony (Darré, son associé fondateur) mangeaient bio et nous avaient sensibilisé à l’importance des méthodes de production da la nourriture. De tempéraments entrepreneurs, nous avons tous les deux faits une école de commerce et dès le départ avons planché sur notre projet qui n’existait pas alors : des burgers de qualité. Et les conseils de nos parents nous sont revenus en mémoire car il nous semblait que le bio était un marqueur de traçabilité et de qualité intrinsèque ».   

Sortis diplômés en 2011, les deux jeunes ouvrent leur premier restaurant à Paris et s’investissent sans compter, depuis les commandes fournisseurs jusqu’aux cuisines et à la gestion de la salle. Malgré de grandes difficultés logistiques et de chaîne d’approvisionnement, ils parviennent à ouvrir une deuxième adresse grâce à l’aide financière de proches. Paradoxalement, c’est en grandissant qu’ils réalisent que leur modèle économique ne marche pas : « nous tenions jusque-là car on étaient au four et au moulin ce qui diminuait nos dépenses, mais dès nos premières embauches, on a vu que le modèle était en péril. Alors, on a repensé la chaîne de valeur et développé une centrale d’achats pour rationnaliser. Ça a été le changement déterminant qui nous a permis de garder jusqu’à aujourd’hui notre envie de départ : être en 100% bio, au prix du marché ».   

Et le groupe a rapidement grandi jusqu’à sortir de Paris en 2017. Après une année record avec 6 ouvertures en 2024, il compte désormais 27 restaurants partout dans le pays. Encore estampillé enseigne métropolitaine, le concept commence à séduire des villes moyennes comme Salon de Provence (Bouches du Rhône) où la mairie a été happé par la perspective d’une enseigne familiale et qualitative. « On ne ment pas sur ce qu’on propose : nous proposons une cuisine riche, on est dans le lâché prise, la gourmandise ! Et c’est tant mieux de ne pas cantonner le bio aux salades de lentilles, même si j’adore ça. Mais ce qu’on propose, c’est du cuit sur place, du frais et des portions raisonnables. Et on propose aussi des espaces enfants dans tous nos restaurants pour que les parents puissent souffler un peu ! ».

27 restaurants c’est beaucoup pour deux associés, mais peu comparés aux 170 000 établissements du pays. Et pourtant, avec leur approvisionnement exclusivement bio, ils pèsent entre 3 et 4% du bio en restauration collective en France et 1% de la viande bovine en bio en France. Une fierté autant qu’une interrogation : « on crée quelque chose pour les agriculteurs, nos volumes leur permettent de planifier. Ce qui m’étonne, c’est qu’il n’y ait pas plus de monde sur le marché, nous sommes toujours seuls alors qu’il est évident que la demande est là : regardez dans la mode avec des entreprises comme Veja, Patagonia, Loom ou 1083, il y a de nombreux acteurs qui montrent qu’on peut fabriquer des produits engagés dans la transition écologique en gardant le même prix car tout le monde n’est pas prêt à dépenser plus pour sauver la planète. Pour autant, on a mené une grosse enquête auprès de nos clients et parmi les 15 raisons qui les poussent à venir chez nous, le bio est numéro deux juste après la qualité et avant même le goût, preuve que nos valeurs comptent et passent ! ».

A l’avenir, Louis entend continuer à grandir, mais tranquillement et en tentant de limiter son impact en diminuant la part de bœuf qui représente 65% des burgers, contre 20% de burgers végétariens, part qui continue de monter « et ils le choisissent pour le goût, pas pour l’option végé ! C’est l’effet burger camembert pané ». Le trublion du bio continue à faire adhérer un nombre croissant de consommateurs avec de nouvelles recettes même si les volumes nécessaires au bio ne favorisent pas toujours l’expérimentation : « on voudrait faire des onion rings ou du poulet pané, mais c’est dur de trouver des volumes de ces produits sans sortir de nos prix et en restant local, mais on va trouver, faut juste savoir prendre le temps ». Quand il ne gère pas ses restaurants, Louis pratique l’ultramarathon, des courses pouvant aller jusqu’à 160 kilomètres. De quoi apprendre la patience bien sûr, et de quoi brûler les calories pour pouvoir manger quelques burgers sans mauvaise conscience !   

 

Natacha KANCEL, apôtre du jardin créole et de l’agroforesterie bio

Parce que les terroirs des Antilles sont parfois délaissés, Natacha est un exemple atypique de retour à la terre pour accroître l’autosuffisance alimentaire de la Guadeloupe. En cinq ans, avec la marque Drain’Ailes, Natacha Kancel a développé une gamme de produits transformés locaux issue de l’agroforesterie et de l’agriculture biologique.

Il y a dix ans encore, Natacha Kancel tenait une quincaillerie avec son compagnon, après un parcours entre tourisme et technico-commercial. La forêt était encore loin ! Mais tout est allé très vite. En 2018, la quincaillerie doit fermer : elle doit inventer son nouveau métier. Ce sera un retour aux racines, pour celle qui a grandi « dans un milieu naturel », avec des grands-parents agriculteurs. « Je me rappelais ces fruits à profusion, en saison, mais je voyais bien comment les jeunes ici délaissent les produits locaux. Alors même que la pression est très forte ici sur le pouvoir d’achat ! »

Son intuition : pour redonner le goût des goyaves, papayes, bananes vertes…, il faut les transformer en des produits susceptibles de séduire les nouveaux consommateurs – sans pour autant tomber dans l’ultra-transformation – « il fallait que ce soit aussi simple et sain que possible ! »

L’envol de Drain’Ailes

Sirops, confitures, jus à base de plantes aromatiques, sauces, confitures peu sucrées, ou farines sans gluten parce qu’issues du fruit à pain ou de banane verte… Natacha conçoit et cuisine les recettes, assure la commercialisation avec son compagnon, sur les marchés et auprès de quelques détaillants… Et ça marche ! La marque Drain’Ailes commence à s’installer dans le paysage. Et pour faire écho à son idée initiale, Natacha commence à intervenir dans des écoles et des collèges, pour installer des petits jardins et développer chez les plus jeunes le goût de la cuisine créole. « Nous sommes un petit archipel et nous ne savons pas ce qui peut se passer demain, insiste-t-elle. Il nous faudrait viser une autonomie alimentaire d’au moins 70 %. Ce serait aussi un vrai soulagement pour les porte-monnaie, car tout est vraiment cher ici. »

Retour à la forêt… et aux terres ancestrales

L’activité n’a pas encore un an quand Natacha décide de remonter un maillon de la filière et de se lancer dans la production. C’est un concours de circonstances qui lui fait découvrir l’agro-foresterie… et qui la rapproche de grands-tantes centenaires (« des exemples de détermination et de résilience ! ») qui jadis exploitaient une terre au Gosier. « C’est un micro-climat humide, idéal pour l’agro-foresterie. Un terrain qui jadis était considéré comme le grenier de la Guadeloupe, et qui était à l’abandon ! Au-delà de l’attachement personnel, cela avait un vrai sens de redynamiser cette zone. » Elle démarre sur un hectare, avec trois essences seulement. L’année suivante, elle répond à un appel à projet de l’ONF avec d’autres producteurs pour exploiter 2 hectares, idéales pour produire de la vanille biologique sur l’île… et essaimer : quatre ans plus tard, ils sont une vingtaine de producteurs en AB ! Elle expérimente aussi, sur une troisième parcelle, le maraîchage sous une couverture végétale de bananiers, ainsi qu’une culture en plein champ de plantes aromatiques et médicinales.

Production, transformation, insertion

Aujourd’hui, Natacha déploie son activité sur 4,5 hectares, « en utilisant tous les supports verticaux possibles », pour ne se limiter à rien tout en respectant pleinement la nature et ses équilibres. Une cinquantaine d’espèces s’y côtoient désormais, « avec des cacaoyers superbes qui n’ont que trois ans et en sont à leur deuxième floraison », des poules ont rejoint la dernière parcelle – « et pour être réellement indépendants, nous faisons notre propre compost, et nous fabriquons nos propres terreaux, purins ou amendements. »

Elle cherche à s’agrandir encore, et développe désormais ses activités sous la forme d’une entreprise d’insertion. De l’agro-foresterie à la permaculture bio en passant par l’agrotransformation (connaissez-vous le sirop de basilic pourpre ? ou l’amertume du « zeb à pique »?), ce sont aujourd’hui 24 femmes qui travaillent pour Drain’Ailes : elles y apprennent un métier et peuvent subvenir aux besoins de leurs famille, elles qui souvent sont des mères isolées. Elles y développent aussi le goût des produits locaux et de l’autonomie alimentaire, qu’elles pourront transmettre à leur tour.

L’ensemble de la production est écoulé auprès de détaillants locaux, quelques commerces en ligne – et les marchés, le week-end, en cas de surplus. Et si le nombre de salariées en insertion a doublé dès la première année, Natacha Kancel ne veut surtout pas s’arrêter là : celle qui entend « laisser le temps à la nature de faire son œuvre » ne compte pas le sien pour développer son activité, toujours guidée par cette vision : « Commençons par faire attention à ce qu’il y a autour de nous, et respectons ce que nous avons reçu. Nous avons la chance d’avoir aux Antilles un climat qui permet de produire toute l’année. Nous autres humains faisons partie d’un écosystème magnifique – mais nous avons trop tendance à le détruire. Faisons plutôt en sorte de conserver ce que nous avons – et de le sublimer !  »

Thibaut Spiwack, la fraternité en cuisine

Depuis 2 ans il est le chef qui incarne la campagne #BioRéflexe. Dans son restaurant étoilé Anona comme dans ses prises de parole au Salon de l’Agriculture, Thibaut Spiwack incarne le bio qui donne envie… et une façon souriante de casser les codes en cuisine. Au menu : Longueur en bouche et circuits courts !

C’est l’histoire d’un jeune homme pas trop pressé mais déterminé, né en région parisienne et formé à l’école du voyage, qui après avoir traversé tous les continents revient à Paris monter son restaurant, où il privilégie… les produits locaux, et bio.

Voyager, Thibaut Spiwack l’a beaucoup fait, depuis son premier voyage au Kenya, à 16 ans. Il en a tiré une ouverture d’esprit, et une grande leçon : « Quand on voit tant de façons de faire les choses, on comprend que oui, même en France où tout est très normé, on peut changer les choses. »

Maîtriser les codes pour mieux les casser

Casser les codes rigides de la restauration : c’est l’objectif qu’il s’est donné en ouvrant son restaurant. Mais avant cela, il a tenu à les apprendre, tous. En France ou à l’étranger, il a tenu tous les postes en cuisine, il a travaillé dans des restaurants gastronomiques et dans des brasseries, et même une pizzeria… « Je voulais tout voir avant de me lancer ! », raconte-t-il.

Fort de ces expériences, il ouvre Anona en 2019 dans le XVIIe arrondissement de Paris – un « restaurant gastronomique de quartier », dit-il, où se déploient des valeurs de partage et d’écologie.

Premier code brisé : celui des ressources humaines. On déplore souvent le management par la terreur dans les cuisines des grands restaurants ? Thibaut Spiwack met en avant la fraternité. Pas toujours simple, mais ses équipiers restent fidèles – un sérieux atout quand on sait les difficultés de recrutement dans le secteur…

Et à la carte ? De l’audace, des légumes frais, de l’harmonie, et une attention particulière à la provenance des produits – locaux, de préférence. Au menu du jour, juste pour saliver : Truite des Pyrénées, concombre francilien et basilic de Paris intra-muros en entrée. Et en plat, Morilles de Sologne, lentilles beluga d’Ile-de-France et truffe d’été. Avec un vin bio, bien entendu… Longueur en bouche et circuits courts !

Le bio, et plus que ça

Anona a déjà reçu une étoile Michelin en 2023, la rouge, après avoir eu la verte en 2022, ainsi que les trois macarons du label Ecotable. Et pourtant, vous ne trouverez pourtant pas de mention bio sur la carte. « Pour moi, ce qui est anormal, c’est ce qui n’est pas bio », annonce le chef, sans la moindre forfanterie.

Cet engagement s’inscrit dans un cadre plus vaste d’écoresponsabilité. Chez Anona, pas de viande dans tous les plats. « Je suis omnivore, dit Thibaut Spiwack. Mais j’aime bien aussi travailler des plats végétariens – sans pour autant le spécifier. »

Être écoresponsable, c’est aussi faire la chasse aux déchets. En utilisant 100 % des légumes, par exemple – privilège du bio ! C’est ainsi que les pelures d’oignon se retrouvent en bouillon, qu’il fait réduire. « Je conserve le concentré dans le bac à glaçons, et boum ! dans un risotto, ça change tout. »

Le goût des vraies tomates

Ce goût du bio lui vient de l’enfance, quand le jeune Thibaut, dans l’Essonne, convainc son père de transformer en potager une partie du jardin familial. « Je me rappellerai toujours de la première fois que j’ai goûté nos tomates, un été. Elles avaient un tel goût ! Soudain je me suis demandé : mais que sont donc les tomates qu’on nous vend au supermarché ? »

Quelques études plus tard, sa conviction a acquis la force de l’évidence. « Dans un fruit ou dans un lait bio, vous avez non seulement plus de goût, mais aussi plus de nutriments »

Le visage du bio

Sa façon de défendre le bio avec le sourire en a fait, pendant deux ans, le visage du label AB en France, via la campagne BioRéflexe – « C’était un honneur ! Le label bio, c’est une marque de transparence indispensable – à la fois pour les clients, et pour nous restaurateurs  »

Après deux années de compagnonnage avec l’Agence Bio, il retient notamment ce Salon de l’Agriculture 2023, où il était amené à cuisiner en direct devant les visiteurs. « Le défi, c’était de proposer deux fois par jour des repas complets pour quatre personnes, 100 % bio et pour moins de 10 euros. ». Sur 9 jours de salon, cela fait 18 menus bio à prix réduit, et plaisir garanti ! Le cordon-bleu fut un carton.

Renverser la table

« Bien manger, ça rend plus heureux », dit volontiers le chef Spiwack. Il n’en est pas moins conscient que l’inflation a contraint de nombreux foyers dans leurs pratiques alimentaires. Pour contrer cette tendance, il milite pour une meilleure éducation à l’alimentation dès le plus jeune âge. En imaginant, par exemple, que tous les écoliers de France puissent aller visiter à la fois une ferme bio avec des poulets en liberté, et une exploitation avec des poulets en batterie. Là, peut-être, commencerions-nous à prendre conscience des enjeux, et à « mieux doser notre viande »…

Mais l’éducation n’est pas tout. Encore faudrait-il « primer ceux qui travaillent bien, et pénaliser ceux qui produisent sans respect » pour l’environnement, la biodiversité… ou le goût des aliments, tout simplement. Proposer des bonus/malus, comme pour les voitures, par exemple. « Parfois, il faut contraindre », résume-t-il. Là encore, on pense à la voiture, et à cette ceinture de sécurité qu’il a fallu rendre obligatoire malgré l’impopularité de la mesure à l’époque. Et Thibaut Spiwack de conclure : « Si on réussit cela, alors dans vingt ans, on se dira que c’était quand même fou, ce qu’on nous faisait manger, avant. »

Pour nous, pour la planète, pour de belles et bio fêtes !

Le bio sera au Salon des Maires et des Collectivités Locales pour réaffirmer le rôle clef des élus pour mettre en oeuvre la loi EGALIM

Comme chaque année, l’Agence BIO sera présente au Salon des Maires et des Collectivités Locales du 19 au 21 novembre au service des élus qui veulent respecter les objectifs français en matière de transitions alimentaires et agricoles : minimum 20% de bio dans les cantines et 18% de bio dans les champs.

Pour atteindre ces objectifs, l’Agence les reçoit sur son stand pendant les 3 jours pour partager tous les moyens de mettre du bio français au menu à coût constant et propose 2 conférences pour repartir avec des méthodes utiles dès le lundi suivant : sur la formation et des équipes et sur le bio social.

  • Conférence 1 : Pour une LOI EGALIM respectée : quelles formations des équipes en cuisine ?

Mercredi 20/11 de 12h30 à 13h15 – Espace Atmosphère Pavillon 4 animé par Julien Picq, chargé de mission restauration collective à l’Agence BIO

Parce que la part de bio dans les assiettes des cantines se joue dès le CAP cuisine, et que le programme du CAP ne parle pas encore de BIO, cette conférence mettra en lumière les actions de

  • Michel Lugnier, Inspecteur général de l’Education Nationale, en charge des référentiels pédagogiques, du CAP au bac professionnel dans l’enseignement hôtellerie / restauration qui œuvre à hybrider l’acquisition des savoirs théoriques et pratiques pour former les chef.fes de demain à l’alimentation durable
  • Vincent Delacour, ambassadeur du bio Cuisinonsplusbio pour l’Agence BIO, chef enseignant au lycée hôtelier de Marlan à Granville (Normandie) qui fait la part belle dans ses cours à la question : pourquoi le bio est bon, comment s’approvisionner et comment le cuisiner à coût constant
  • Lucie Leloup, cheffe formatrice au sein de la SCIC Nourrir l’Avenir qui accompagne les cantines vers le bio et ambassadrice Cuisinonsplusbio en Normandie qui intervient sur la formation continue, qui plaide pour des plats BIO fait maison à budget maîtrisé
  • Jean-Pierre Giacosa conseiller en marchés publics pour la restauration collective, de l’association Resto’Co qui fédère les acteurs en gestion directe. Jean-Pierre épaule les cantines pour trouver les produits BIO, il est notamment intervenu pour les CHU de Brest, Pontarlier dans leurs politiques de sourcing.
  • Conférence 2 : Du bio partout et pour tous, comment conjuguer justice sociale et qualité sur les territoires ? Avec Audrey Pulvar

Jeudi 21/11 de 12h30-13h15 – Espace Atmosphère animé par Julien Picq chargé de mission restauration collective à l’Agence BIO

Cette conférence mettra en lumière les politiques publiques et les initiatives citoyennes qui visent à renforcer l’accessibilité du bio pour le grand nombre. Au menu, les démarches d’acteurs (consommateurs, citoyens, élus…) qui contribuent à rendre accessible les produits bio

Dialogue croisé entre élus et opérationnels

Pour les voix des élus :

  • Audrey Pulvar, adjointe à la mairie de Paris pour l’alimentation durable, l’agriculture, les circuits courts qui parlera de son PAT, de la commande publique pour un objectif de 75% de bio au menu via AgriParisSeine pour les cantines, et tous les autres moyens de faire accéder les Parisiens au bio (paniers bio avec des légumes des jardins de Cocagne pour les étudiants avec le Crous)
  • Aurélie Mézières, maire de Plessé en Loire-Atlantique (44) : comment travailler la démocratie alimentaire sur sa municipalité, engager ses administrés, et valoriser le label Territoire Bio Engagé (TBE)

 

Pour porter la voix des opérationnels

  • Boris Tavernier, fondateur du réseau Vrac, député du Rhône (69), comment Lyon a rendu le bio accessible dans les quartiers populaires, comment le restaurant d’Economie Sociale et Solidaire de la Mesa (Maison Engagée et Solidaire de l’Alimentation) à Lyon s’approvisionne en bio…
  • Eric Faury, membre du collectif AGORES des chef.fes engagé.e.s, responsable de la cuisine centrale de Canéjan en Gironde (33) en scolaire, commune qui s’engage pour obtenir le label Territoire Bio Engagé et nous parlera notamment du dispositif de la cantine à 1€ du ministère de l’Agriculture qui permet d’introduire plus de BIO et de son engagement dans la démarche Territoire Bio Engagée 

AU PROGRAMME

Animations Culinaires  

Des associations, des chef.fe.s et des élèves en école d’hôtellerie se relaient pour régaler les visiteurs de bio à la cuisine du stand

  • Mardi 19 novembre matin : l’école comestible, association d’éducation alimentaire pour les écoles publiques primaires (plus de 50 000 enfants et personnels touchées)
  • Mardi après-midi et mercredi 20 matin : les élèves du lycée Hôtelier de Granville (Normandie) et leur chef formateur Vincent Delacour seront là pour faire goûter le bio en live avec des ballotines de volailles et petits légumes, et des noix de saint-jacques avec mousseline de patate douce, saltimbocca de veau et risotto champignon, lentilles vertes du puy
  • Mercredi 20 novembre après-midi : Ariane Delmas, et son chef Ronan du restaurant Les Marmites Volantes, société qui propose aussi des repas et goûters bio et locaux aux mairies et figure de proue d’Ecotable, label de restauration durable proposeront des recettes à base de légumineuses
  • Jeudi 21 novembre : journée Territoire Bio Engagé, label équivalent au “Village Fleuri” mais en bio, pour valoriser les territoires qui mettent du bio dans leurs champs et dans leurs cantines, se déploiera désormais en région AURA, le chef formateur Karim qui oeuvre pour l’Interbio Centre-Val de Loire viendra cuisiner en démonstration

Retrouvez les conférences et les animations au stand Pavillon 2.3 stand C02

La bio, c’est le laboratoire de la transition agro-écologique le plus avancé que l’on ait nous dit Sophie Tabary

Sophie Tabary, rêver plus grand en bio. Revenue depuis 2012 dans la ferme familiale de Lerzy  (Aisne) avec son conjoint, Sophie Tabary ne cesse de batailler pour changer de paradigme. Renverser le système de production agricole actuel et redonner de la fierté par la nourriture à tout un territoire.  

Il est osé de prétendre que chaque problème est une opportunité potentielle. Pourtant, durant très longtemps, ce sont les crises agricoles qui ont poussé les agriculteurs à la conversion en agriculture biologique. 

De fait, en 2009, les parents de Sophie subissent de plein fouet l’effondrement du prix du lait. C’est la goutte de trop, qui les poussent à faire un pas de côté et à miser sur un système robuste et surtout indépendant des intrants extérieurs qu’il faut payer chaque mois. Produire un peu moins, certes, mais surtout, dépenser moins en utilisant la ressource déjà disponible sur l’exploitation pour nourrir les vaches.

Si les parents de Sophie n’avaient pas fait ce premier pas, elle ne serait jamais revenue sur l’exploitation familiale. Fille d’agriculteur, elle a d’abord tout fait pour s’extraire de son milieu d’origine, qu’elle trouvait trop machiste, trop fermé, et trop dur, et surtout dévalorisé par toute une partie de la population. 

Au cours de ses études de lettres modernes, elle habite différentes villes étudiantes et s’intéresse, presque malgré elle, à la perception des territoires ruraux d’autres régions. Avec surprise, elle constate qu’en Alsace, en Ardèche, dans les Vosges, la nature préservée est perçue comme une richesse, et le paysan comme un créateur de paysage. 

Loin, elle ne revient plus les week-ends dans la ferme familiale, mais se retrouve à aider dans les fermes avoisinantes. Le diagnostic tombe : elle est en mal de campagne.

En 2012, la naissance de sa fille la pousse à revenir à ses racines avec son compagnon dans l’aventure. “ j’ai été saisie par une volonté d’agir pour le futur de mon enfant, de faire changer le regard des habitants sur leur propre territoire. La Thiérache, entre les plaines de Picardie et de Champagne, est une terre d’élevage. J’ai vu dans la bio un moyen formidable de valoriser une approche écosystémique positive, de faire estimer à leur juste valeur la matière organique, les prairies permanentes, les haies, la biodiversité. De rendre fiers les paysans-éleveurs d’être gardiens de cette richesse inestimable et menacée par l’élargissement des plaines céréalières tout autour

Son petit frère les rejoint lui aussi, et ils ne sont pas de trop pour arpenter une ferme s’étendant sur 185 hectares et abritant 110 vaches laitières normandes et montbéliardes, qui produisent chacune 5 500 litres de lait par an. Le domaine accueille également un atelier maraîchage circuit court sur 3,5 hectares ainsi que des vergers avec des variétés anciennes. Dans ce vaste ensemble, on retrouve 20 kilomètres de haies, lesquelles servent à la filière bois énergie locale ainsi qu’au paillage des vaches laitières. 

L’idée est d’œuvrer pour une véritable synergie homme/animal/végétal. La diversification du système est la clef de la résilience pour Sophie, tant pour retrouver un équilibre écologique qui permette de se passer de pesticides, que pour sécuriser le volet économique de la ferme en ne misant pas tout sur une même production. Le lait est vendu en circuit long, tandis que les fruits et légumes sont écoulés en circuits courts ( AMAP, Biocoop, marchés et magasin de producteur). 

 

C’est certes une organisation très complexe et plus chronophage que la moyenne, mais qui produit des résultats économiques largement satisfaisants :« je m’investis pour la bio car à la base, on pose des exigences techniques : conserver un lien au sol et la fertilité intrinsèque de nos terres, ne pas utiliser de pesticides de synthèse, respecter les cycles naturels, protéger l’eau, l’air, la biodiversité et par là-même notre santé  à tous. C’est bien plus qu’un simple marché économique : c’est le laboratoire de la transition agro-écologique le plus avancé que l’on ait, et ça impose un regard politique sur l’alimentation que l’on souhaite pour notre pays. Il suffit de lire le rapport de la Cour des Comptes et de l’Union Européenne sur la question pour voir que nous avons besoin de plus de soutien étant donné notre contribution au bien commun ». 

Pour faire la transition, je constate qu’on remet encore trop souvent la responsabilité de l’évolution des pratiques sur les agriculteurs. Pourtant, pour faire de l’agroécologie, et pas seulement en bio, on doit travailler avec des rotations de 6,8, même 11 cultures différentes. A l’heure qu’il est, aucun outil agro-industriel ne peut gérer une telle diversité car ils sont ultra-spécialisés. Qui en parle? Qui prend le problème à bras le corps?

« Pas de solutions sans interdictions ! »

Un discours très revendicatif qu’elle porte depuis 2023 en tant que Présidente de Bio en Hauts-de-France. Là, sa double casquette de maraîchère et éleveuse bio lui permet d’éveiller les acteurs et décideurs locaux : « je leur explique qu’on a besoin d’augmenter l’alimentation de qualité dans les assiettes à budget constant. Or, comme le plus coûteux en termes climatique et économique, c’est la viande, on incite la restauration collective à en utiliser moins mais de meilleure qualité. De la part d’une éleveuse convaincue, c’est entendable. Pour autant, ça demande beaucoup d’adaptation des agents de cantines. Ils doivent réapprendre à cuisiner différemment. Je ne déteste rien tant que le discours assénant qu’il suffit de changer ses habitudes et d’apprendre à cuisiner pour manger bio. C’est faux. Il y a un surcoût, et il faut faire un effort. Mais le jeu en vaut la chandelle : manger mieux, c’est aussi s’autoriser à se faire du bien, faire attention à sa santé et à celle des autres, retrouver de l’estime de soi. Dans une région aussi pauvre que la mienne, c’est lourd de sens. 

Si la conjoncture actuelle n’incite pas à l’optimisme, Sophie ne lâche pas la barre. “On essaie parfois de nous enfermer dans des cases qui ne sont pas les nôtres, de nous isoler de l’agriculture en général, en nous traitant d’extrémistes. Pourtant, c’est bien toute l’agriculture qui doit bifurquer! Je n’oppose jamais les agriculteurs entre eux, je m’autorise, avec beaucoup de respect, à opposer les systèmes : c’est le propre de toutes les pensées ayant contribuées à l’évolution de l’Humanité! J’espère qu’on est pas obligé de rester coincé dans les années 1960!!

Et puis, selon moi, les normes sont de formidables outils pour accélérer les transitions. On les voit comme des freins, alors que ce devrait être des catalyseurs. L’agronomie, ça s’écrit en marchant! Très malicieusement, je pense qu’il n’y aura pas de solutions sans interdictions! La bio en est la preuve! 

 

Cyriaque Crosnier Mangeat, le pèlerin du bio.

Président et co-fondateur (avec son frère) d’AGROSEMENS et de La Semence Bio, à Aix-en-Provence, Cyriaque Crosnier-Mangeat se moque du court-termisme et des résultats trimestriels. Les crises conjoncturelles le laissent froid et rien n’entame sa conviction que le bio est la voie pour produire à manger écologiquement pour toutes et tous.

Au commencement était la semence. Dans notre modernité technologique aseptisée où nous nous sommes coupés du vivant, nous avons trop tendance à oublier les notions les plus élémentaires, notamment la manière dont nous produisons ce que nous mangeons. Pas Cyriaque. À quatre ans, quand d’autres se rêvent cosmonautes, son Graal à lui est « d’aller planter des graines là où elles ne poussent pas, en Afrique », un rêve qu’il réalisera d’ailleurs une vingtaine d’années plus tard, au Sénégal.

Avec son dernier frère, Judicaël, ingénieur ETP de formation, ils se lancent en sortant d’ école, en 2002, et créent AGROSEMENS, maison semencière pour les maraîchers 100% bio. « On ne voulait pas de compromis. Notre leitmotiv, c’est l’alignement. Travailler pour et avec les paysans, chercher en permanence ensemble et trouver les produits les plus efficaces, les plus résilients. Le cahier des charges bio précise bien qu’on ne traite les semences ni avant ni après récolte et cela donne des produits qui s’adaptent, qui résistent mieux aux ravageurs, qui sont moins gourmands en eau… La vraie solution à la crise climatique est dans la nature ».

 Toutes les théories sur notre adaptation au dérèglement climatique passant par davantage de technologies et d’OGM, le braquent : « les OGM sont une supercherie dans la mesure où l’on se place au-dessus du vivant et où l’on délègue à des entreprises un bien mondial de l’humanité, les semences à l’origine de nos futures récoltes ». Pour cet agronome de formation, les tenants du système productiviste actuel sont empreints d’hubris quand nous devrions au contraire nous emplir d’humilité, mot qui a la même racine qu’humus, à l’origine de toute son aventure professionnelle.

 De deux personnes en 2002, AGROSEMENS est devenue une PME solide la région SUD, avec 35 salariés à temps plein et soixante travailleurs à la haute saison, qui se répartissent entre la ferme expérimentale et l’entrepôt semencier. La maison est restée familiale (ils ont associé leur sœur), indépendante et est désormais leader du marché des artisans semenciers bio. L’indépendance, autre maître mot de l’entreprise leur fait refuser la grande distribution généraliste pour vendre des semences aux jardiniers amateurs sous la marque La Semence Bio®.

 Si l’entreprise prospère aujourd’hui, c’est après beaucoup de travail et une démarche de R&D permanente : « nous ne sommes pas seulement des agronomes, des techniciens ou des commerçants, mais tout cela à la fois pour être une réponse à la crise de la paysannerie. De fait, je ne considère pas nos clients comme tels, mais comme des partenaires et alliés avec qui nous élaborons et enrichissons notre catalogue au service du Vivant ». Leur grande bibliothèque d’Alexandrie à eux représente 900 espèces et variétés déclinées selon 6 000 conditionnements en stock.

Quand on lui parle de la crise du bio actuelle et de l’importance de produire plus pour nourrir la planète, il oscille entre goguenardise et colère : « quand j’entends parler d’autonomie et de souveraineté agricole, il faut savoir de quoi on parle. On doit importer du porc et du blé à la suite des récoltes de cette année, tout cela parce que nous sommes encore sur la vision du plan Marshall d’une agriculture très dérégulée et complètement indifférenciée. C’est une aberration car les sols et les paysages ne sont pas les mêmes, il faut respecter . Importer du low cette diversité naturelle dans ce que nous allons produire. 

 

On voit bien que ce modèle n’est pas résilient, ni pour les paysans, ni pour les habitants. Importer du low cost n’est pas plus une voie d’avenir, la seule qui vaille c’est le bio et local : la reconnexion avec nos territoires, avec nos paysans, que les Français se renseignent sur le fondamental, la nourriture et comprennent son juste prix. L’éclaircie entrevue pendant le COVID, pendant laquelle les français sont allés en masse se fournir chez les paysans est retombée, c’était une embellie conjoncturelle. Je voudrais qu’on réalise tous les jours l’importance des paysans : à 20h on applaudissait à raison les soignants, mais on aurait dû aussi applaudir les paysans qui nous nourrissent ». Mais à peine cette colère éclatée, Cyriaque reprend son bâton de pèlerin du bio et envisage l’avenir avec optimisme : « il ne peut pas en aller autrement, le système actuel tient sur des dettes et du virtuel, la seule agriculture qui rémunère dignement ceux qui la font, qui respecte le vivant, l’eau, les sols et la biodiversité, c’est la bio, tout le monde finira tôt ou tard par l’entendre ». À bon entendeur…

 

Communiqué de presse – 25 septembre 2024

Sur la Terre est notre métier, l’Agence BIO publie pour la première fois les chiffres à mi-année du secteur bio

Le Salon La Terre est Notre Métier, qui réunit les professionnels du secteur de l’agriculture biologique ces 25 et 26 septembre à Retiers, verra pour la première fois l’Agence BIO publier une actualisation des chiffres du marché à mi-année ainsi que de la production bio (hors restauration hors domicile).

Après plusieurs années de baisse de la consommation bio, la consommation de produits bio tend à se stabiliser : si les ventes de produits bio peinent encore à regagner du terrain dans les rayons des grandes et moyennes surfaces, en revanche elles sont reparties à la hausse en vente directe et en magasins bio.

Vers une stabilisation du marché ? : une baisse des ventes de bio en grande distribution, et le retour de la croissance en vente directe et en magasins bio

Le poids du bio en grande distribution dans le chiffre d’affaire diminue de 4,7% début 2023 à 4,4% au 2ème trimestre 2024, occasionnant un recul en valeur. Toutefois, les marques de distributeurs en bio tirent cependant leurs épingles du jeu en grandes surfaces..

Les ventes en circuit court et le développement des magasins spécialisés poursuivent leur croissance en valeur. Ces modes d’achats compensent la baisse en GMS  :

  • + 8,4% dans le circuit spécialisé bio ;
  • + 3% en vente directe ;
  • – 5% de ventes en valeur dans les GMS.

Pour ce qui concerne les filières, les éleveurs français sont parmi les plus touchés par la baisse des volumes consommés en bio, alors que l’élevage et les engrais naturels qu’il produit jouent un rôle clef dans la fertilisation des cultures bio qui s’interdit les engrais azotés.

Côté champs : un solde encore positif au 30 juin 2024

  • 1 167 nouveaux producteurs bio : le solde entre entrants et sortants reste positif, le bio continue d’être attractif .
  • + 14% de nouveaux producteurs par rapport à la même période en 2023.
  • + 30% d’arrêts de producteurs par rapport à la même période.

Un événement pour rassembler l’ensemble des filières et mettre en avant les agriculteurs

Au cœur de la Bretagne à Retiers, le Salon La Terre est Notre Métier est l’occasion pour l’Agence BIO  de rappeler que la consommation dans nos assiettes détermine la transition agricole dans les champs. La consommation de bio en France représente 6% des dépenses alimentaires des ménages et 6% de la restauration collective, secteur dont la loi EGALim fixe un minimum de bio à 20%. La place du bio dans l’assiette détermine directement la préservation du trésor national que constituent les 61 000 fermes bio françaises : les derniers chiffres montrent une reprise de la consommation bio qui doit se renforcer et se poursuivre grâce à la mobilisation de tous les acteurs de la distribution et de la restauration.

À propos :
Créée en novembre 2001 et dotée d’une mission d’intérêt général, l’Agence BIO est un groupement d’intérêt public en charge du développement, de la promotion et de la structuration de l’agriculture biologique française. Elle rassemble au sein de de son conseil d’administration des représentants des Pouvoirs Publics – le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire et le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires – et des professionnels (FNAB, Chambres d’agriculture France, Synabio, FCD, Synadis Bio, Interbio, et la Coopération Agricole). Ses missions principales : communiquer et informer sur l’agriculture biologique et ses vertus environnementales. Produire, analyser et partager les chiffres du bio avec l’Observatoire National. « Être une instance » de dialogue entre l’amont agricole et l’aval industriel, entre les bios historiques et les plus récents. Investir le Fonds Avenir Bio de 13 millions d’euros sur les projets collectifs d’entrepreneurs du bio les plus structurants et les plus pérennes pour les filières bio françaises.

Cécile Détang-Dessendre : quand l’INRAE se penche sur l’avenir de la bio

Solutions de bio-contrôle, recouplage animal-végétal mais aussi semences, politique de prix et régimes alimentaires : l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’alimentation et l’Environnement (INRAE) examine la bio sous tous les angles, avec une grande question : si l’offre de produits bio devenait majoritaire, que faudrait-il changer ?

Cécile Détang-Dessendre, directrice scientifique adjointe Agriculture de l’Institut, nous détaille les enjeux de ce « métaprogramme » qui pourrait éclairer l’avenir de la filière.

Il y a la rigueur de la scientifique, le doute qui fait progresser la science, mais aussi la passion dans la voix et l’œil qui s’allume en parlant de certains projets de recherche : après 30 ans à INRAE, Cécile Detang-Dessendre nous fait vivre la science comme une aventure. On ne peut pas dire, pourtant, qu’elle ait choisi les sujets les plus spectaculaires. Economiste de formation, c’est en étudiant le marché du travail dans l’agriculture qu’elle s’est intéressée de près à l’agriculture biologique. « Moins de mécanisation, et plus de vente directe : l’AB mobilise plus de travail. » Quand INRAE lui propose d’intégrer la direction scientifique et de coordonner des recherches liées à la bio, elle accepte. Croiser les disciplines pour examiner toutes les facettes d’un sujet, c’est sa vision de la science. Et puis, entre temps, elle a acquis une conviction : avec le réchauffement climatique, « le statu quo n’est plus une option ». Et le défi est immense.

« Changement d’échelle de l’agriculture biologique : tout un (méta)programme

Mais face à la menace climatique que peut faire l’INRAE ? Eh bien… de la science. C’est-à-dire : poser les questions les plus pertinentes pour faire avancer la connaissance et les pratiques.

Et pour cela, l’Institut dispose de moyens que le monde entier envie à la France : un vivier de 4000 chercheurs, et 75 Unités expérimentales. Et une place de n°1 pour le nombre de publications scientifiques dans le domaine du bio.

« A lNRAE, nous n’avons pas de position dogmatique, insiste Cécile Détang-Dessendre. Des précurseurs se sont intéressés à la bio dès les années 80. Nous savons aujourd’hui qu’il est indispensable d’accélérer la transition vers une agriculture écologique. Et la bio est évidemment une des voies de cette transition »

En 2020, INRAE lance donc son métaprogramme METABIO. Son angle d’attaque ? Explorer un changement d’échelle de l’agriculture biologique, et anticiper ce qu’induirait un monde où l’offre de bio serait majoritaire. « Cela ne veut pas dire que nous nous sommes fixés comme objectif 50 % de bio, précise la scientifique. Mais puisque des changements de pratiques sont indispensables, il est de notre responsabilité de scientifiques de nous projeter, de prendre de l’avance et d’anticiper les besoins des agriculteurs ». Parmi les questions explorées, on peut citer celles-ci : Quel impact sur les semences ? Sur la distribution ? Sur l’organisation des filières ? Quelles ressources mobiliser pour produire suffisamment ? Comment développer des procédés de transformation biocompatibles ? Et comment accompagner les agriculteurs ? Et « ce que nous apprenons avec les recherches en AB bénéficie à tous les types d’agriculture ».

La bio sous tous les angles

Une vingtaine de projets lancés, tous pluridisciplinaires – et 350 chercheurs impliqués. Avec de la recherche fondamentale en laboratoire (citons le travail sur le microbiote des baies de raisins en AB), mais aussi de la recherche appliquée, à l’image de cet essai mené en Bourgogne avec plusieurs hectares de grande culture zéro intrant chimique. Ou ce projet en Guadeloupe, où 5 agriculteurs travailleront avec l’Unité expérimentale locale pour tester différentes configurations de recouplage animal/végétal.

Cette co-construction, Cécile Detang-Dessendre y tient. « Depuis la nuit des temps, les agriculteurs appliquent sur leurs terres une méthode scientifique, rappelle-t-elle : tenter des choses nouvelles, observer les résultats, et pousser ce qui marche… » Un cycle sans fin, que INRAE accompagne pour et avec les premiers concernés.  

Essaimer ce qui marche, pour les agriculteurs et pour l’environnement

3 ans après le lancement du métaprogramme, qui court jusqu’en 2028, il n’est pas question encore de claironner des résultats. Mais déjà, des indications se dessinent. Sur l’impact de l’agriculture biologique sur la santé, par exemple. Ou encore sur des pratiques bio en plus décarbonées. Des expériences très prometteuses sont menées dans le domaine du bio-contrôle – comme ces phéromones qui semblent particulièrement efficaces contre la tordeuse de la grappe, un des poisons de la viticulture. Impossible de citer ici toutes les avancées, dans des domaines aussi variés que l’élasticité-prix des produits bio, les leviers possibles pour développer la production porcine en AB, le succès (avéré) du couplage lapins/pommiers, les formats bio les plus adaptés aux cantines scolaires ou encore l’impact des légumineuses sur la fourniture d’azote…

En élargissant l’angle d’analyse, les modélisations actuelles montrent que tenir les objectifs du Green Deal européen et atteindre la neutralité carbone en 2050 de l’économie européenne nécessitera une transformation majeure des systèmes agricoles et alimentaires et en particulier une adaptation de nos régimes alimentaires. « Ce qui tombe bien, note Cécile Detang-Dessendre, puisque le Plan Nutrition-Santé lui-même préconise de privilégier la viande de volaille et de  limiter à 500 grammes la consommation des autres viandes par semaine » ; Nous consommons actuellement en moyenne 900 g de viande par semaine et par personne, selon les enquêtes de consommation de l’ANSES.

Au-delà du pilotage des programmes parfois extrêmement pointus, la directrice scientifique adjointe ne perd pas de vue les grands équilibres, et la nécessité de changer les modèles agricoles. Loin des discours sur les estrades et devant les plateaux de télévision, chercheurs et agriculteurs s’emploient ainsi chaque jour à prendre de l’avance sur la transition alimentaire, parce qu’elle entrainera la transition agricole.

 

 

Pierre-Yves Rommelaere, la cantine autrement

 

20 % de bio dans les cantines ! On le sait, l’objectif fixé par la loi Egalim n’a pas été atteint. Dans son collège de l’Aude, pourtant, Pierre-Yves Rommelaere dépasse les 80 % de bio, sans dépasser le budget. Comment ? Eh bien… En cuisinant. Portrait d’un cuisinier fier de son métier, et qu’on aurait aimé avoir eu au collège.

C’est l’histoire d’un homme qui quitte l’école après la 3e, en butte avec le système scolaire, et qui y revient au collège vingt-cinq ans après, pour tout changer… en cuisine.

« Une autre cantine est possible », c’est le titre du livre qu’il a publié en 2021 avec le sociologue Marc Perrenoud, et qui tord le cou aux idées reçues – à commencer par celle-ci : « La cantine c’est jamais bon ». Mais si, ça peut l’être !

De la cuisine gastronomique à la cantine

Avant de publier ce livre, Pierre-Yves Rommelaere a connu bien des expériences dans la restauration – de l’école hôtelière jusqu’à un restaurant gastronomique. Puis il a rencontré sa femme, à Toulouse, un enfant est né… « Comme beaucoup de cuisiniers, j’ai senti le besoin de me poser, donc d’envisager la restauration collective », dit-il.

Un établissement médicalisé pour personnes âgées lui propose un CDI, près de chez lui. Il accepte, sans passion. Pierre-Yves Rommelaere le reconnaît volontiers : « La restauration collective est plutôt méprisée dans les écoles de cuisine. Bien souvent, les chefs ne savent pas comment faire, alors ils font comme leurs prédécesseurs… Moi aussi, j’ai commencé par servir des macédoines de légumes en boîte. J’avais plus de temps pour moi, certes, mais je perdais le goût de cuisiner. Je n’étais pas très fier… ».

Retrouver le goût de cuisiner

Un jour, Pierre-Yves décide de briser le cercle vicieux, et de retrouver un peu de plaisir dans son travail. « Un dessert surgelé était au menu. J’ai décidé de le laisser dans le congélateur, et de me lancer dans une tarte aux pommes. Quatre ingrédients, rien de plus simple… Le lendemain, on m’a raconté que les résidents chantaient à table !  »

Le changement est impulsé. Petit à petit, le surgelé disparaît des menus. Pierre-Yves retrouve le goût de cuisiner, et les résidents celui de manger. Qui dit mieux ? « Quand on change la cuisine, on change aussi la vie qui va autour », conclut le cuisinier. De cette expérience, il retiendra l’habitude… de bousculer les habitudes. « En restauration collective, les contraintes réglementaires sont telles que dès que l’on veut changer quelque chose, on vous dit  : ce n’est pas possible. Mais c’est possible ! »

Du bio pour nos enfants !

Jusqu’ici, l’histoire de Pierre-Yves Rommelaere s’écrit loin de l’agriculture biologique. Mais tout change quand il est embauché par le collège de Lézignan, pour gérer une cantine d’environ 500 couverts. « Quand je suis arrivé, il y avait un yaourt bio une fois par semaine, rien de plus. Mais il y avait une volonté politique de développer le bio et les produits locaux… » Une volonté qu’il partage : « Avec des enfants, se soucier de la provenance des aliments, c’est essentiel ! »

Très vite, il décide qu’il ira plus loin que ce qu’impose la loi Egalim. Alors, avec les quatre employés de la cantine, Pierre-Yves change les habitudes. L’équipe se met à cuisiner des produits bruts, à varier les repas. La lutte contre le gaspillage devient une priorité. Le levier ? Que les enfants aiment ce qu’ils mangent. Pour mieux faire accepter légumes et légumineuses, Pierre-Yves les propose parfois en tartinades. Et il n’hésite pas à sortir de sa cuisine pour présenter ses recettes. « Au collège, on apprend aussi à manger ! dit-il. Quand je propose un plat indien végétarien, j’explique l’origine du plat. Chacun se sert selon sa faim, et petit à petit, ils s’y font. Et on jette beaucoup moins qu’avant ! »

Non, le bio n’est pas plus cher !

Le collège de Lézignan dépasse désormais les 80 % de produits bio – locaux à près de 60 %. Les coûts ont-ils pour autant explosé ? Pas du tout – même avec l’inflation de 2023. « On est entre 2,30 et 2,40 € par repas, détaille le cuisinier. La recette ? Moins de gaspillage, mais aussi moins de produits. « Avec des épices bio, pas besoin de mettre tout le sachet pour donner du goût », sourit-il. Et quand on a de bons produits, on peut cuisiner simple ». Autre exemple marquant : le poisson. « Un poisson surgelé rend 30 % d’eau. En cuisinant bien un poisson frais, vous avez autant de matière pour le même prix… et c’est meilleur. »

Et le cuisinier de mettre au défi ses collègues : « Je les invite à venir faire les courses au marché avec moi le samedi matin, ils verront si c’est plus vraiment cher de cuisiner bio ! »

Un modèle à suivre

Avec son livre et quelques interventions dans les médias, Pierre-Yves Rommelaere entend « mettre en avant le travail des cuisiniers, et des démarches nouvelles ». Sur Instagram, il partage ses recettes… et d’autres cuisiniers le contactent pour des conseils. L’hôpital de Lézignan l’a appelé récemment, intéressé par ses fournisseurs locaux. « On commence à faire tâche d’huile, dit-il. Et on montre que la restauration collective peut être un soutien à l’agriculture bio et locale, et un vrai levier pour la transition que l’on souhaite tous. »

Bien sûr, il en faudrait bien d’autres que lui pour que cette transition s’accélère. « Il faudrait bouger au niveau de la formation, préconise-t-il. Revenir aux bases : les produits, les saisons, la cuisson… »

Les bases : n’est-ce pas ce que l’on est censé apprendre, au collège ?

Bon appétit.

 

 

 

 

Margot Lecarpentier, ou quand le bio s’invite dans les cocktails

En 2017, peu misaient sur un bar à cocktails tenu par des filles dans le quartier de Belleville, à Paris. Aujourd’hui, Margot Lecarpentier est reconnue comme une des grandes mixologues françaises… et elle fait entrer les produits bio dans le monde de la nuit. Un combat encore jeune, mais qu’elle mène avec un sourire résolu.

La rue de Belleville est bien connue des joueurs de Monopoly. Mais y avez-vous déjà fait un tour ? C’est une rue en pente, pleine de vie, de restaurants et de bars. Au n°63, depuis 2017, on y trouve un bar à cocktail. Son nom ? « Combat ». C’est qu’il n’a pas été facile pour Margot Lecarpentier de convaincre des partenaires pour se lancer dans une telle aventure avec une équipe entièrement féminine ! Sept ans plus tard, on peut parler de succès : l’équipe compte aujourd’hui 6 personnes qui servent tous les soirs des cocktails avec ou sans alcool à une clientèle éclectique. Un vrai lieu de vie, ouvert sur la ville, pour siroter un étonnant Lhassa (cachaça, grenade, amer cassis, pin, citron et stracciatella) ou une Margarita maison avec un trait de camomille…

Sur le trottoir d’en face, on trouve un magasin Biocoop. Chez Combat aussi, tout ou presque est bio – mais rien sur la carte ne l’indique. C’est que, pour Margot Lecarpentier, le bio n’est pas n’est pas un argument : c’est une évidence.

De la campagne normande à la nuit parisienne

« Le bio, je suis née dedans, explique la jeune femme. Je viens de la campagne normande, et ma mère faisait ses courses dans les épiceries bio avant même que n’arrivent les enseignes. Des légumes bio, du pain au levain et du vrac, c’est toute mon enfance ! »

Comment est-elle passée de ce monde rural à la nuit parisienne ? C’est d’abord une passion pour la musique qui l’amène à Londres, où elle découvre les cuisines du monde. Puis à Paris, elle découvre la culture du bistrot. Puis c’est l’imprévu, comme une carte Chance au Monopoly : son appartement parisien est cambriolé. Elle décide de repasser par la case Départ. Ce sera New-York, cette ville qui ne dort pas et où le cocktail est roi. Adieu l’industrie musicale, décide-t-elle : elle rentre en France, décidée à démocratiser la culture du cocktail.

Elle fait ses premières armes à l’expérimental COCKTAIL club , et saute le pas dès qu’elle se sent prête « à devenir sa propre patronne, pour pouvoir être intransigeante sur [mes] choix. »

Trouvailles et cocktails

Dans ce parcours, une rencontre se révèle déterminante : Sylvain Grundlinger, le « petitiste » de Trouvailles & Terroirs , dénicheur de produits bio aux saveurs exceptionnelles. « Au départ, il était venu présenter un sirop d’érable à l’Expérimental. Le lien ne s’est jamais perdu ensuite », raconte Margot.

Quand Margot crée Combat, Sylvain Grundlinger la suit dans l’aventure. Il inspire même un de ses cocktails « signature » : l’Impécâpres (tequila, câpres, Suze, noix, vermouth blanc, citron). Il lui fournit régulièrement herbes, fruits, et vinaigres de cidre ou de fleur de sureau bio. Ses trouvailles inspirent parfois à la mixologue passionnée des idées nouvelles. « Un jour, il m’a fait goûter des petits pois qu’on mangeait comme des bonbons. Et quand j’ai croqué dans la cosse, en sentant le jus, j’ai su qu’il pouvait s’intégrer dans un cocktail… »

A la carte de Combat, tout est bio, ou presque. Le « presque », c’est la marque d’une honnêteté radicale. « Le citron est un ingrédient essentiel dans de nombreux cocktails, mais en janvier ou février, c’est compliqué d’en trouver en bio… » Pour trouver de l’acidité, Margot a volontiers recours à du verjus de raisins cueillis avant maturité : inventer, toujours ! Et tout préparer sur place – c’est aussi ça, l’esprit de Combat.

Au-delà du bio : l’éco-responsabilité

Margot Lecarpentier le reconnaît volontiers : le bio n’est guère présent aujourd’hui dans l’univers de la mixologie – particulièrement dans les alcools forts, lesquels n’indiquent que très peu leur composition. Il en existe pourtant des certifiés AB, ouf !

Mais on n’aurait rien compris si on pensait que la démarche de Margot Lecarpentier s’arrête à la certification. « Nous cherchons à être éco-responsables dans tout ce que nous faisons, explique-t-elle. Ce n’est pas toujours simple, notamment pour le zéro-plastique, mais on s’y tient ». Parmi les engagements ? Des couverts réutilisables, donc, mais aussi du vrac (y compris pour les spiritueux), des savons solides, pas de serviette en papier, pas de produit chimique… et une chasse au gaspi qui nourrit aussi la créativité. « On essaie de tout réutiliser ! Découper des feuilles de figuier pour la déco des cocktails et garder les chutes pour une liqueur, par exemple. Ou faire infuser des feuilles de clémentines dans du gin et préparer un cordial avec les fruits… » 

#Tutopicole, la mixologie pour toustes

Margot Lecarpentier partage toutes ces idées sur son compte Instagram, où elle a développé depuis le confinement de 2020 le #tutopicole. « J’avais mis à infuser des noix de macadamia dans un alcool. Je l’ai partagé en story, et les demandes de tutos ont afflué très vite. Alors j’ai continué… »

Très suivie sur les réseaux sociaux, elle l’est aussi dans son milieu professionnel. Elle est ainsi devenu cheffe mixologue du groupe Alain Ducasse – et on peut la retrouver les jeudis soirs, au bar de l’hôtel Meurice. Après tout, au Monopoly, tout se finit-il pas en hôtels ? Sauf que Margot Lecarpentier n’en est qu’au début de sa partie, et qu’elle n’aime rien tant que changer les règles. Pour inclure tout le monde, donner de la joie à la nuit comme au jour, avec ou sans alcool… et en bio, évidemment.

Sylvain Grundlinger : le « petitiste » qui magnifie le bio

Depuis plus de dix ans, Sylvain Grundlinger déniche des producteurs engagés et fournit les plus grands chefs en produits bio. Une activité à taille humaine qu’il partage sur son site, « Trouvailles & Terroirs », et dans un étrange magasin aux allures de cave aux trésors…

Nous sommes à Paris, quartier de Pigalle, au fond d’une impasse à l’écart du boulevard. Pas de devanture, pas d’enseigne – mais ceux qui savent, savent. Une après-midi par semaine, Sylvain Grundlinger ouvre son magasin. Fruits et légumes, huiles et vinaigres : tout est bio, les stocks sont limités, les prix raisonnables.

Quand nous entrons ce jour-là, deux chefs sont en pleine conversation. « Elles sont splendides, les échalotes. Tu les travailles comment, toi ? » demande l’un. « En sauce ! Délicieux. Ou dans un beurre blanc… » C’est qu’ici, la clientèle aussi est spéciale, entre gourmets éclairés et chefs en quête d’une trouvaille originale.

Le petit qui fournit des plus grands

Pour comprendre ce qui se joue ici, il faut connaître le patron de ce lieu presque secret. Sylvain Grundlinger a commencé sa carrière professionnelle non pas dans l’agriculture, mais… dans l’événementiel. Dans les années 2010, Sylvain décide de tourner le dos au salariat et de créer sa propre activité. Il crée « Le bonhomme bio », qui livre des paniers de fruits dans les entreprises. « Je faisais les livraisons moi-même, raconte-t-il. Et ça a si bien marché que je me suis ruiné le dos. » Après trois ans, il s’associe avec un confrère, élargit ses activités et son carnet d’adresses de fournisseurs bio… Puis, en 2014, il lance Trouvailles & Terroirs. Une activité de grossiste pour les restaurateurs, mais à taille humaine. « Je ne voulais pas créer d’entreprise au sens traditionnel ; je voulais pouvoir choisir mes fournisseurs, mais aussi mes clients », précise-t-il, avant de conclure : « je ne suis pas un grossiste, mais un petitiste. »

Un « petitiste » qui travaille aujourd’hui avec une cinquantaine de clients, parmi lesquels certains des plus grands chefs. « J’ai énormément appris de leur exigence, assure Sylvain. Travailler avec un chef qui sait reconnaître à l’oeil la qualité d’un petit pois dans un lot entier, c’est un défi. Et j’aime ça, trouver des solutions pour répondre à une demande nouvelle. »

L’excellence plutôt que la croissance, en un sens.

Éloge de la fraîcheur

Cette excellence, c’est toute l’implication d’un homme qui se lève régulièrement à deux heures du matin pour assurer les produits les plus frais à sa clientèle. « On dit que j’ai les meilleurs produits ; en réalité, j’ai surtout les produits les plus frais ! Mon métier, c’est de choisir les produits, mais c’est aussi la logistique. Avec 12 à 24 heures d’avance sur les autres, je permets à mes clients d’avoir à la carte du midi des légumes cueillis la veille. »

Des produits qu’il est parfois aussi le seul à proposer sur toute la place de Paris, grâce à un réseau de fournisseurs (en direct ou via quelques intermédiaires bien choisis) qu’il a mis des années à constituer, avec toujours une triple exigence : une agriculture propre, la qualité gustative (« il faut qu’il se passe quelque chose tout de suite, aux yeux et au goût »), et la relation humaine. « Le meilleur des légumes, s’il est produit dans des conditions qui ne me satisfont pas, ou par quelqu’un qui traite mal ses employés, je préfère m’en passer », dit-il.

L’évidence du bio

Notre visite avance et nous nous rendons compte que nous n’avons pas encore parlé de bio. « … Parce que pour moi, ça va de soi, dit tranquillement Sylvain Grundlinger. Quand je parle d’agriculture propre, le bio, c’est la base. Le système n’est peut-être pas parfait mais il n’y a que là qu’il y ait un vrai contrôle. Les autres labels ? Je n’en parle même pas. Ce qui ne peut pas se vérifier, ça ne vaut rien. » Chez Trouvailles&Terroirs, les produits sont 100 % bio, l’entreprise elle-même est certifiée, mais Sylvain Grundlinger n’en fait pas un argument. Au prosélytisme, il préfère opposer la force de l’évidence : « On dit que le bio a du sens. Mais c’est surtout ce qui n’est pas bio qui n’en a pas. » Lui préfère mettre en avant le goût de ses produits… et conserver des prix raisonnables.

Un blocage à dépasser

Le prix, d’ailleurs, parlons-en ! Serait-ce lui, le blocage qui empêche les restaurateurs de mettre plus de bio sur leurs cartes ? Sylvain Grundlinger balaie l’argument. Pour les grands chefs, explique-t-il, le coût des matières premières ne constitue qu’une part mineure du prix de l’assiette. « La réalité, surtout, c’est que les restaurateurs achètent mal. Je vois bien, moi, comment certains grossistes montent leurs prix dès qu’il y a un label AB. Alors que bien acheter, c’est tout un ensemble : le produit, le transport, le service. Et à ce jeu-là, quand on s’y prend bien, le bio n’est pas plus cher. » Deux restaurateurs qui font leurs courses dans la boutique abondent dans son sens. « Si les clients entendaient certains restaurateurs parler entre eux, ils fuiraient », assure l’un d’eux, tandis que l’autre plaisante : « Moi, j’achète du bio, et ce n’est pas grave. La question, c’est surtout : pourquoi les autres ne le font pas ? »

Le débat s’engage sur les blocages psychologiques qui restent à dépasser dans le secteur. Un débat qui pourrait rebondir de façon inattendue quand on sait que nombre de restaurateurs peinent à trouver des collaborateurs. Car pour nombre de jeunes cuisiniers, travailler des produits bio constitue un véritable argument de recrutement. « Plutôt que de se perdre dans de faux débats, les restaurateurs feraient mieux de remettre leurs pratiques en question s’ils veulent recruter… conclut Sylvain Grundlinger. En attendant, dans certains restaurants, je propose des paniers bio au staff, ils sont contents… »

L’éthique de travail, toujours. Et une sorte de retour aux sources pour celui qui, il y a vingt ans, livrait des fruits aux grandes entreprises. Sans savoir qu’un jour il ne côtoierait plus que le haut du panier.

Patrick Bergman exotiquement bio

Ses clémentines, kiwis, et désormais citrons et pomelos ravissent les consommateurs français avides de bio français, y compris pour ces produits dits « exotiques ». Un petit miracle répété chaque année pour celui qui a repris l’exploitation familiale en Corse il y a 40 ans. Venu au bio par nécessité économique, il y est resté par conviction écologique. 

Patrick Bergman est attaché à la Corse. Né au Congo Belge, il débarque sur l’île en 1962 avec ses parents qui ont acheté des clémentiniers. Il la quitte pour les lycées agricoles du continent, à Aix en Provence, avant d’y revenir puis de repartir pour son Congo natal – devenu le Zaïre, pour travailler dans le coton et les palmiers à huile. Las, les troubles politiques le ramènent une nouvelle fois vers l’île de beauté en 1984 pour reprendre l’exploitation familiale.

Après un début marqué par la diversification des cultures avec du kiwi et de l’avocat, la concurrence italienne et espagnole met l’exploitation en péril économique. Avec l’aide d’un voisin, Albrecht Von Keyserlingk, féru de plantes aromatiques bio, il s’initie aux vertus d’une autre agriculture.

Aussitôt converti, aussitôt convertisseur : Patrick contacte l’Interbio Corse et y prend des responsabilités. Anciennement président, il en est aujourd’hui vice-président pour consolider la filière locale : « je  me suis occupé de la production et j’ai développé les stations de conditionnement, faute de quoi il n’y a pas de marché possible. Ensuite, pour assurer les approvisionnements, je me suis rapproché d’organisations de producteurs (OP) comme Terre d’Agrumes avec qui nous avons amené plusieurs producteurs à la bio ». Cette filière a grossi au point de représenter aujourd’hui 1 200 tonnes de clémentines, 250 tonnes de kiwis, 400 tonnes de pomelos et 50 de citrons (l’exploitation de Patrick représentant à elle seule 400 tonnes de clémentines et 100 de kiwis). Des volumes importants et qui sont vendus à 99% sur le continent… « Hélas, il n’y a pas de demande en Corse. On fournit quelques magasins spécialisés, mais guère plus. Je ne peux pas compter sur le relais de la restauration car nous n’avons des touristes que l’été au moment où je ne produis plus… Mais j’ai à cœur de développer mes relations locales et je compte y arriver via la restauration collective notamment les cantines scolaires ». Il y a également des tentatives de diversifications à l’export, mais les marchés européens ne sont pas prêts à payer le prix du bio IGP en Corse. Pas de quoi contrarier Patrick qui envisage l’avenir sereinement sous l’auspice de la diversification et de l’augmentation de la demande : « nous nous sommes lancés sur le citron, mais aussi le citron caviar, le pomelo, les oranges blondes et sanguines ou encore l’avocat. Tout cela ces trois dernières années et il en faut plutôt 5 à 10 entre l’année de la plantation et celles de rendements optimaux. Je n’ai pas de doute sur leur écoulement car le bio local est recherché : si nous sommes limités au niveau des clémentines, je pense qu’on peut tripler voire quadrupler les volumes de pomelo et de kiwi ».

Arrivé à la bio par nécessité économique, Patrick y reste par conviction écologique. En devant renouveler ces plantations de kiwis de 1985, il constate l’impact du réchauffement climatique : « nous n’avons plus de températures suffisamment froides pour assurer une dormance suffisante de l’arbre. Quand nous allons renouveler le verger, nous allons devoir nous mettre en quête de variétés qui ont besoin de froid. C’est ça qu’on vit aujourd’hui, comme les limitations hydriques avec deux jours par semaine où arroser est interdit. Il faut de la bio et du local car la mondialisation amène des parasites qui causent de graves dégâts. La bio, c’est le meilleur mode de production pour la santé de la planète comme celle des humains, voilà pourquoi je suis un militant de la bio en Corse et ça commence par soi : on mange bio en famille ! ».