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Sylvain Grundlinger : le « petitiste » qui magnifie le bio
Depuis plus de dix ans, Sylvain Grundlinger déniche des producteurs engagés et fournit les plus grands chefs en produits bio. Une activité à taille humaine qu’il partage sur son site, « Trouvailles & Terroirs », et dans un étrange magasin aux allures de cave aux trésors…
Nous sommes à Paris, quartier de Pigalle, au fond d’une impasse à l’écart du boulevard. Pas de devanture, pas d’enseigne – mais ceux qui savent, savent. Une après-midi par semaine, Sylvain Grundlinger ouvre son magasin. Fruits et légumes, huiles et vinaigres : tout est bio, les stocks sont limités, les prix raisonnables.
Quand nous entrons ce jour-là, deux chefs sont en pleine conversation. « Elles sont splendides, les échalotes. Tu les travailles comment, toi ? » demande l’un. « En sauce ! Délicieux. Ou dans un beurre blanc… » C’est qu’ici, la clientèle aussi est spéciale, entre gourmets éclairés et chefs en quête d’une trouvaille originale.
Le petit qui fournit des plus grands
Pour comprendre ce qui se joue ici, il faut connaître le patron de ce lieu presque secret. Sylvain Grundlinger a commencé sa carrière professionnelle non pas dans l’agriculture, mais… dans l’événementiel. Dans les années 2010, Sylvain décide de tourner le dos au salariat et de créer sa propre activité. Il crée « Le bonhomme bio », qui livre des paniers de fruits dans les entreprises. « Je faisais les livraisons moi-même, raconte-t-il. Et ça a si bien marché que je me suis ruiné le dos. » Après trois ans, il s’associe avec un confrère, élargit ses activités et son carnet d’adresses de fournisseurs bio… Puis, en 2014, il lance Trouvailles & Terroirs. Une activité de grossiste pour les restaurateurs, mais à taille humaine. « Je ne voulais pas créer d’entreprise au sens traditionnel ; je voulais pouvoir choisir mes fournisseurs, mais aussi mes clients », précise-t-il, avant de conclure : « je ne suis pas un grossiste, mais un petitiste. »
Un « petitiste » qui travaille aujourd’hui avec une cinquantaine de clients, parmi lesquels certains des plus grands chefs. « J’ai énormément appris de leur exigence, assure Sylvain. Travailler avec un chef qui sait reconnaître à l’oeil la qualité d’un petit pois dans un lot entier, c’est un défi. Et j’aime ça, trouver des solutions pour répondre à une demande nouvelle. »
L’excellence plutôt que la croissance, en un sens.
Éloge de la fraîcheur
Cette excellence, c’est toute l’implication d’un homme qui se lève régulièrement à deux heures du matin pour assurer les produits les plus frais à sa clientèle. « On dit que j’ai les meilleurs produits ; en réalité, j’ai surtout les produits les plus frais ! Mon métier, c’est de choisir les produits, mais c’est aussi la logistique. Avec 12 à 24 heures d’avance sur les autres, je permets à mes clients d’avoir à la carte du midi des légumes cueillis la veille. »
Des produits qu’il est parfois aussi le seul à proposer sur toute la place de Paris, grâce à un réseau de fournisseurs (en direct ou via quelques intermédiaires bien choisis) qu’il a mis des années à constituer, avec toujours une triple exigence : une agriculture propre, la qualité gustative (« il faut qu’il se passe quelque chose tout de suite, aux yeux et au goût »), et la relation humaine. « Le meilleur des légumes, s’il est produit dans des conditions qui ne me satisfont pas, ou par quelqu’un qui traite mal ses employés, je préfère m’en passer », dit-il.
L’évidence du bio
Notre visite avance et nous nous rendons compte que nous n’avons pas encore parlé de bio. « … Parce que pour moi, ça va de soi, dit tranquillement Sylvain Grundlinger. Quand je parle d’agriculture propre, le bio, c’est la base. Le système n’est peut-être pas parfait mais il n’y a que là qu’il y ait un vrai contrôle. Les autres labels ? Je n’en parle même pas. Ce qui ne peut pas se vérifier, ça ne vaut rien. » Chez Trouvailles&Terroirs, les produits sont 100 % bio, l’entreprise elle-même est certifiée, mais Sylvain Grundlinger n’en fait pas un argument. Au prosélytisme, il préfère opposer la force de l’évidence : « On dit que le bio a du sens. Mais c’est surtout ce qui n’est pas bio qui n’en a pas. » Lui préfère mettre en avant le goût de ses produits… et conserver des prix raisonnables.
Un blocage à dépasser
Le prix, d’ailleurs, parlons-en ! Serait-ce lui, le blocage qui empêche les restaurateurs de mettre plus de bio sur leurs cartes ? Sylvain Grundlinger balaie l’argument. Pour les grands chefs, explique-t-il, le coût des matières premières ne constitue qu’une part mineure du prix de l’assiette. « La réalité, surtout, c’est que les restaurateurs achètent mal. Je vois bien, moi, comment certains grossistes montent leurs prix dès qu’il y a un label AB. Alors que bien acheter, c’est tout un ensemble : le produit, le transport, le service. Et à ce jeu-là, quand on s’y prend bien, le bio n’est pas plus cher. » Deux restaurateurs qui font leurs courses dans la boutique abondent dans son sens. « Si les clients entendaient certains restaurateurs parler entre eux, ils fuiraient », assure l’un d’eux, tandis que l’autre plaisante : « Moi, j’achète du bio, et ce n’est pas grave. La question, c’est surtout : pourquoi les autres ne le font pas ? »
Le débat s’engage sur les blocages psychologiques qui restent à dépasser dans le secteur. Un débat qui pourrait rebondir de façon inattendue quand on sait que nombre de restaurateurs peinent à trouver des collaborateurs. Car pour nombre de jeunes cuisiniers, travailler des produits bio constitue un véritable argument de recrutement. « Plutôt que de se perdre dans de faux débats, les restaurateurs feraient mieux de remettre leurs pratiques en question s’ils veulent recruter… conclut Sylvain Grundlinger. En attendant, dans certains restaurants, je propose des paniers bio au staff, ils sont contents… »
L’éthique de travail, toujours. Et une sorte de retour aux sources pour celui qui, il y a vingt ans, livrait des fruits aux grandes entreprises. Sans savoir qu’un jour il ne côtoierait plus que le haut du panier.
Patrick Bergman exotiquement bio
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Ses clémentines, kiwis, et désormais citrons et pomelos ravissent les consommateurs français avides de bio français, y compris pour ces produits dits « exotiques ». Un petit miracle répété chaque année pour celui qui a repris l’exploitation familiale en Corse il y a 40 ans. Venu au bio par nécessité économique, il y est resté par conviction écologique.
Patrick Bergman est attaché à la Corse. Né au Congo Belge, il débarque sur l’île en 1962 avec ses parents qui ont acheté des clémentiniers. Il la quitte pour les lycées agricoles du continent, à Aix en Provence, avant d’y revenir puis de repartir pour son Congo natal – devenu le Zaïre, pour travailler dans le coton et les palmiers à huile. Las, les troubles politiques le ramènent une nouvelle fois vers l’île de beauté en 1984 pour reprendre l’exploitation familiale.
Après un début marqué par la diversification des cultures avec du kiwi et de l’avocat, la concurrence italienne et espagnole met l’exploitation en péril économique. Avec l’aide d’un voisin, Albrecht Von Keyserlingk, féru de plantes aromatiques bio, il s’initie aux vertus d’une autre agriculture.
Aussitôt converti, aussitôt convertisseur : Patrick contacte l’Interbio Corse et y prend des responsabilités. Anciennement président, il en est aujourd’hui vice-président pour consolider la filière locale : « je me suis occupé de la production et j’ai développé les stations de conditionnement, faute de quoi il n’y a pas de marché possible. Ensuite, pour assurer les approvisionnements, je me suis rapproché d’organisations de producteurs (OP) comme Terre d’Agrumes avec qui nous avons amené plusieurs producteurs à la bio ». Cette filière a grossi au point de représenter aujourd’hui 1 200 tonnes de clémentines, 250 tonnes de kiwis, 400 tonnes de pomelos et 50 de citrons (l’exploitation de Patrick représentant à elle seule 400 tonnes de clémentines et 100 de kiwis). Des volumes importants et qui sont vendus à 99% sur le continent… « Hélas, il n’y a pas de demande en Corse. On fournit quelques magasins spécialisés, mais guère plus. Je ne peux pas compter sur le relais de la restauration car nous n’avons des touristes que l’été au moment où je ne produis plus… Mais j’ai à cœur de développer mes relations locales et je compte y arriver via la restauration collective notamment les cantines scolaires ». Il y a également des tentatives de diversifications à l’export, mais les marchés européens ne sont pas prêts à payer le prix du bio IGP en Corse. Pas de quoi contrarier Patrick qui envisage l’avenir sereinement sous l’auspice de la diversification et de l’augmentation de la demande : « nous nous sommes lancés sur le citron, mais aussi le citron caviar, le pomelo, les oranges blondes et sanguines ou encore l’avocat. Tout cela ces trois dernières années et il en faut plutôt 5 à 10 entre l’année de la plantation et celles de rendements optimaux. Je n’ai pas de doute sur leur écoulement car le bio local est recherché : si nous sommes limités au niveau des clémentines, je pense qu’on peut tripler voire quadrupler les volumes de pomelo et de kiwi ».
Arrivé à la bio par nécessité économique, Patrick y reste par conviction écologique. En devant renouveler ces plantations de kiwis de 1985, il constate l’impact du réchauffement climatique : « nous n’avons plus de températures suffisamment froides pour assurer une dormance suffisante de l’arbre. Quand nous allons renouveler le verger, nous allons devoir nous mettre en quête de variétés qui ont besoin de froid. C’est ça qu’on vit aujourd’hui, comme les limitations hydriques avec deux jours par semaine où arroser est interdit. Il faut de la bio et du local car la mondialisation amène des parasites qui causent de graves dégâts. La bio, c’est le meilleur mode de production pour la santé de la planète comme celle des humains, voilà pourquoi je suis un militant de la bio en Corse et ça commence par soi : on mange bio en famille ! ».
En Allemagne, le bio est sorti de la crise
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En Allemagne le bio sort de la crise en 2023 le marché croit de 5%. En 2022 le marché bio allemand recule avait reculé de 4% allemand croit de 5%.
Comment l’expliquer ?
L’Agence BIO croise les analyses avec @ecozept, cabinet franco-allemand pour comprendre
- La grande distribution alimentaire outre-Rhin a continué à investir dans le bio, même en pleine crise. Les efforts de communication ont été renforcés avec une mise en avant du bio dans les dépliants et dans les promotions.
- S’il y a eu quelques déréférencements parmi les marques nationales bio, ils ont été surcompensés par la création de nouvelles références à l’intérieur des marques de distribution (MDD bio), les volumes sont donc restés stables. Etoffer ainsi l’entrée de gamme a été la solution pragmatique dans une situation où l’inflation réduisait le pouvoir d’achat. Dans l’ensemble, le nombre de références dans les rayons de la grande distribution a augmenté de 5 % pendant la crise.
- De nouveaux projets ont été lancés en 2023, notamment dans le discount dont les MDD ont fait des « collabs » avec des associations agricoles bio allemandes Bioland et Naturland. Ceci a permis d’écouler les volumes produits au niveau agricole et d’assurer une stabilité des prix pour les matières premières bio.
Les distributeurs ont constaté que sous l’effet d’inflation, les consommatrices et consommateurs allemands ne réduisent pas leurs achats en bio, mais les reportent vers des canaux de distribution et des produits moins chers. Ils ont su répondre à ce report de pouvoir d’achat par des innovations à l’intérieur de la gamme et réussissent ainsi de fidéliser une clientèle attractive.
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Source : Ecozept d’après BÖLW
Evolution marché
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Source : Ecozept d’après BÖLW et AMI
Part de marché bio / marché alimentaire
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2023 : 6 % (Statista)
Communication / publicités pour le bio en grande distribution
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Source. AMI
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Source Statistisches Bundesamt, BÖLW
Champagne Bio un succès qui s’exporte
8 % de surfaces en bio. Une stagnation en 2023 mais un doublement attendu dans les 3 ans. Si 22 % des vignes françaises sont en bio, en revanche les vignobles de vins de champagne sont bio pour 8 % des surfaces soit 2 600 hectares et 649 productrices et producteurs. 43 % de ces surfaces sont déjà certifiées, tandis que 57 % sont en conversion, la transition est donc en cours.
Les surfaces en vignes certifiées bio ont quasiment triplé entre le millésime 2016 et 2022 (+727 ha). On observe également un pic d’entrée en conversion en 2020 avec 704 nouveaux hectares. Depuis 2021 les surfaces totales en bio (certifiées et en conversion) stagnent autour de 2 700 ha. Les surfaces en vigne certifiées
bio devraient plus que doubler au cours des trois prochaines années.
Le champagne biologique
La filière compte 649 viticulteurs en bio. Le nombre de viticulteurs biologiques a connu une forte croissance entre 2019 et 2021, passant de 261 à 600 (+339 en 2 ans).
L’évolution est plus modérée sur les dernières années (+25 domaines en 2023).
Le Champagne bio est fortement commercialisé sur les marchés export où sont réalisées 62% des ventes en valeur tout particulièrement vers les États-Unis, le Japon et l’Italie. Une balance commerciale
excédentaire pour ce produit d’exception puisque le champagne bio est une AOP dont l’aire de production se situe uniquement en France.
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AIRE DE PRODUCTION DU CHAMPAGNE
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© Comité Champagne
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Le vignoble champenois occupe un large territoire au nord-est du Bassin parisien sur les départements de l’Aisne, la Marne et l’Aube ainsi que sur quelques communes de Seine-et Marne et de Haute-Marne.
La plus grande partie du vignoble se concentre dans le département de la Marne (70 %), le reste pour 20 % dans l’Aube, la Haute Marne, et pour 10 % dans les départements de l’Aisne et de Seine-et-Marne.
Le saviez-vous ?
Champagne bio, sous deux signes d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO).
Le champagne bio est garanti par deux signes d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO) que sont l’Appellation d’Origine Protégée (AOP) et l’Agriculture Biologique.
- Le premier garantit l’origine de ce vin effervescent produit dans une aire géographique très précise et selon un savoir-faire
reconnu. - Le second un mode de production agricole et agroalimentaire qui exclut la chimie synthétique la catégorie des herbicides est totalement proscrite, les viticulteurs ne peuvent utiliser aucun pesticide ou fongicide synthétique, les additifs en vinification sont limités, les OGM sont exclus. Ces deux SIQO sont régis par des cahiers des charges européens distincts, mais complémentaires, et font l’objet de contrôles stricts à chaque stade par un organisme indépendant.
100% de raisins bio ne suffisent pas, le champagne bio se joue aussi dans le chai
Pour qu’un champagne soit certifié bio il faut non seulement 100 % de raisins cultivés en agriculture biologique mais aussi respecter des règles strictes de vinification bio. Ces règles de vinification bio interdisent certains procédés physiques de traitements des vins et autorisent uniquement une liste restreinte
d’additifs et auxiliaires d’origine naturelle.
« Save water, drink (organic) champagne!* »
La célèbre plaisanterie déclinée commercialement en t-shirts et autres goodies
pourrait s’avérer exacte si on précise « champagne bio » (ou organic).
Pourquoi l’Agence de l’Eau Seine Normandie accompagne t-elle la structuration de la filière du champagne biologique depuis 2019 ?
Parce que chaque parcelle convertie en champagne bio améliore la qualité des eaux environnantes.
Il n’y a pas de fatalité à la pollution des nappes souterraines et des cours d’eau champenois : la prévention est clef pour protéger l’eau et plus de bio dans les vignobles y contribue grandement.
Aujourd’hui dans les eaux de surface de la zone de production de l’AOC Champagne, au moins un pesticide
synthétique a été quantifié dans 100 % des stations de prélèvements étudiées. Les produits majoritairement
identifiés sont des herbicides et leurs métabolites (dimétachlore, bentazone, métazachlore, atrazine) et des
fongicides (boscalid) tous interdits en bio.
Concernant les eaux souterraines : 100 % des stations suivies présentent au moins une substance quantifiée, et de 38 à 71 pesticides sont quantifiés dans 10 % d’entre elles. En conséquence, 23 % des captages d’alimentation en eau potable marnais sont touchés par les pollutions diffuses, et 15 % à l’échelle de la région sur le bassin Seine-Normandie.
Parmi les solutions : développer la viticulture bio en Champagne ! Pour encourager les cultures à bas niveau
d’intrants, notamment dans les zones de captage d’eau,l’Agence de l’Eau Seine Normandie soutient la production labellisée bio.
Sont déployés et financés également par l’Agence de l’Eau, pour les viticulteurs ou les collectivités : l’accompagnement technique des exploitants et des animations sur le territoire permettant de faire émerger des projets ; la mise en place d’infrastructures d’hydraulique douce pour limiter.
le transfert comme des haies ou des bandes enherbées ; des investissements en matériels permettant la réduction de l’utilisation de produits phytosanitaires. Depuis 2019, le projet « structuration et développement de
la filière du Champagne Bio » a été retenu lors de l’appel à manifestation d’intérêt « Filières favorables à la ressource en eau » porté par la Région Grand Est et les Agences de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse, Rhin-Meuse et Seine Normandie.
La première phase, s’échelonnant de 2019 à 2021, a largement atteint ses objectifs avec 357 nouvellesstructures engagées en agriculture biologique pour une surface de 1 610 ha de vignes converties. La seconde phase, allant de 2022 à 2024, cherche à accélérer le mouvement en développant les partenariats avec l’ensemble des acteurs de la filière. Aussi bien les acteurs agricoles comme Bio Grand Est, la Chambre d’Agriculture de la Marne, le Syndicat Général desVignerons, que les acteurs économiques tels que l’Association des Champagnes Bio
(ACB), l’Union Auboise, Terroirs et Vignerons (ex-union de coopératives Nicolas Feuillatte), ainsi que des distilleries comme Goyard et Bonvalet.
Les acteurs de l’eau comme la communauté d’Agglomération d’Epernay, la Communauté Urbaine du Grand Reims, l’Union des Syndicats d’eau du Sud de l’Aisne (USESA) ou encore le SDDEA de l’Aube sont bien sûr des partenaires clef. On le voit : un vaste ensemble d’acteurs ont compris l’intérêt de converger vers le bio, pour les bénéfices qu’il apporte notamment pour la protection de la ressource en eau. Espérons que pour renforcer et accélérer cette dynamique, de nombreux autres acteurs rejoindront le mouvement de conversion en bio des vignobles, car chaque parcelle convertie améliore la qualité points d’eaux voisins.
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Champagne, l’heure de la grande conversion a sonné
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Côté pile, 8% des surfaces pour produire le Champagne sont bio contre 22% pour le reste des vignobles. Côté face, une pléiade de petites maisons (et certaines grosses) avant-gardistes qui se convertissent et convainquent de la faisabilité, au-delà de la nécessité, pour toutes les maisons de passer en bio.
« Nous ne sommes pas égaux face aux nécessaires changements à apporter à la viticulture : quand je pense à certains vignerons qui négocient leurs ventes à un euro le litre, je mesure combien il peut être complexe de passer en bio. Mais nous, les maisons champenoises, n’avons aucune excuse pour ne pas saisir nos responsabilités historiques ». C’est avec une force tranquille que Delphine Brulez, à la tête de la maison Louise Brison, évoque le défi à venir. Cette ingénieure agronome, 4eme génération à s’occuper des terres familiales, s’implique pour pouvoir les transmettre propres aux générations futures : « les changements sont si brutaux qu’on ne peut pas avoir l’assurance de continuer à produire le même vin pour toujours. Alors, il nous faut tout mettre en œuvre pour préserver nos terres et ça implique évidemment la bio ». Une évidence qui se décline pourtant lentement : alors que 22% de la viticulture française est passée en bio, cette part n’est que de 8% pour le champagne.
Selon le journaliste Pierre Guigui, directeur de la collection Le savoir boire[1], ce retard historique tient à la rudesse climatique de ces 17 territoires représentant un peu plus de 30 000 hectares : « En Champagne, il y a plus de maladies qu’ailleurs sur les vignes. On doit composer avec un climat moins clément pour la vigne. Il est plus difficile de faire du bio en champagne qu’en Provence par exemple et donc plus difficile de se passer de produits chimique de synthèse. Pour autant, dès qu’un champagne passe en bio, l’expérience se partage, il n’y a pas de fatalité à ce que cela reste ainsi ». Autre souci majeur pour l’accélération de la conversion, le grand éclatement des parcelles de vignes servant à élaborer les champagnes. Selon Aurélie Ringeval-Deluze, maître de conférences à l’Urca, le vignoble champenois est composé d’environ 279 000 parcelles d’une superficie moyenne de 12 ares. Ce grand morcellement rend très complexe la mise en œuvre des pratiques environnementales car il faut convaincre tout un écosystème de changer ses pratiques.
Comme le confie Ludovic du Plessis qui a repris la maison familiale Telmont avec l’appui de trois actionnaires parmi lesquels Leonardo di Caprio, Sur les 25 hectares que nous possédons, nous sommes à 100% bio, mais pour les 75 hectares que nous achetons nous ne sommes qu’à 70% et il nous faut encore convaincre nos partenaires d’aller au 100% et ça prend du temps ». Et encore ce dernier possède-t-il un quart de ces vignes, mais une grande partie n’est pas propriétaire de 10% et achète parfois des vignes à plusieurs dizaines de personnes différentes, autant à convaincre…
Une des autres raisons pouvant expliquer l’absence de mouvement de masse vers le bio est que nombre de grands groupes derrière les maisons de champagne (Moêt-Hennessy, Pernod Ricard) ont choisi la stratégie de l’ « agriculture régénérative » pour montrer leur engagement environnemental. Pour Ludovic du Plessis, la flûte n’est qu’à moitié pleine si on ne va pas en bio : « chez Telmont on dit que l’agriculture régénérative c’est très bien, mais ça ne constitue que la première étape. Il faut le bio pour plus de biodiversité sinon n’est qu’à la moitié du chemin. Et quand on est bio, on met le label, point. Pour montrer, pour expliquer car il y a encore trop d’incompréhension sur le travail. Le bio, c’est un goût très vivant, qui vient de la grande vitalité des sols. Et je crois que ça, c’est le futur du champagne. La question n’est pas de savoir si les autres vont y venir, mais quand. Un jour, tous les champagnes seront bio ».
Cette grande conversion au bio des champagnes ne serait pas une anomalie, mais au contraire un retour à ce qui s’est produit la majorité de l’histoire de ces terroirs : nombre de grandes maisons de Champagne sont pluricentenaires et se sont constituées aux XVIIIe et XIXème siècle (voire au XVIIe pour le célèbre Dom Pérignon) et furent cultivées en bio pendant des siècles contre quelques décennies seulement avec les adjuvants de la chimie de synthèse.
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Revenir aux origines n’a donc rien d’une chimère. Pour Jean-Baptiste Lecaillon, chef de caves des champagnes Roederer, cette quête doit se mener au nom d’un triptyque environnement, patrimoine territorial et goût : « tout est imbriqué. Le bio est évidemment meilleur pour la santé des sols et de l’eau, mais ce qu’il faut bien comprendre c’est que notre patrimoine, ce sont nos parcelles. Nous nous imposons un mode de culture cohérent qui préserve notre patrimoine sur le très long terme.
Et ce faisant, nous évitons une certaine unicité de goût liée à la fertilisation des sols. Avec le bio nous retrouvons un vin de lieu qui a un goût puissant, solide et unique ».
Si le bio donne un goût unique, cela serait d’autant plus heureux qu’avec 3,7% des terres agricoles, la viticulture consomme 20% des pesticides de synthèse épandus en France[1]… Comme l’indique l’Agence de l’eau Seine Normandie, 100% des cours d’eaux sont contaminés et cela peut être prévenu avec le passage en bio. D’où l’intérêt de transitionner au plus vite et à faire savoir que le bio est prêt, au point techniquement.
Pour Pierre Guigui, les stéréotypes d’un manque de sérieux du bio ont existé fortement en champagne mais n’ont plus cours depuis des années : « les premières fois que j’ai organisé des dégustations de champagne bio, dans les années 90, je les faisais à l’aveugle et ne révélais qu’à la fin. On montrait la VHS (une cassette vidéo) pour expliquer la démarche après dégustation et les gens étaient souvent incrédules ne pouvant associer une telle qualité avec ce qu’ils voyaient comme un truc de babas cool ! Mais l’image a changé, aujourd’hui les producteurs de bio ne sont plus vus comme des gentils inconscients, mais des techniciens crédibles. Ce handicap d’image a disparu en France comme auprès des acheteurs internationaux ». Car le Champagne est un des produits phares de l’export français, ayant généré 4,2 milliards d’euros en 2023, avec un fort tropisme pour le Royaume-Uni et les États-Unis, mais également de nouveaux marchés pour lesquels le bio est un incontournable. Delphine Brulez avance fièrement son label AB/ Eurofeuille à l’export : « les pays scandinaves et dans une moindre mesure les Pays Bas, sont très sensibles au bio. Ajoutez à cela que dans certains pays comme en Suède, vous avez des monopoles de vente et devenir référencé vous ouvre alors des perspectives commerciales très importantes ».
Reste bien évidemment la peur la plus souvent brandie par les détracteurs du bio, la chute de la productivité. Sur le sujet, le recul de quinze ans de Roederer en fait un témoin idéal et ô surprise, la baisse de production est assez marginale, de l’ordre de 5%. Pour Jean-Baptiste Lecaillon « il faut du recul. Sur les plus mauvaises années, on peut connaître un recul de 30%, quand on a une floraison et un printemps humides.
Mais en 2023, par exemple, grâce à une vigne plus équilibrée, nous avions 10% de rendements supérieurs en bio qu’en conventionnel. Et sur le long terme, nous voyons que la baisse n’est pas très importante et seule compte le long terme ». Ainsi parle avec sagesse celui qui gère les caves d’une maison vieille de sept générations, qui a racheté des maisons comme Deutz pour la passer en bio. Ils sont suivis dans cette veine par d’autres maisons familiales comme Bollinger qui ont annoncé leur conversion. Une grande cohérence dans cette vision d’une économie patrimoniale s’opposant à une économie financiarisée dont le court-termisme ne cadre pas avec les échéances des sols. On peut citer à ce sujet le cas de Lefèvre Beuzart dont les 4 hectares ont obtenu leur première certification bio en 2023 et nombre d’autres désireux d’obtenir leur certification.
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Pour finir, la conversion va sonner car celles et ceux qui travaillent sur ces terres veulent du bio. Chez Telmont, plusieurs centaines de CV affluent à chaque ouverture de poste, un enthousiasme que confirme Delphine Brulez : « dans mes études, on ne m’a pas parlé du bio, mais aujourd’hui ça bouge et dans les Instituts techniques comme les formations le sujet est présent. On veut toutes les infos sur les provenances, le bio sécurise les consommateurs et les travailleurs, c’est un atout évident ». Mieux encore, chez Roederer on cultivait en bio depuis près de quinze ans sans être certifiés et ce sont les jeunes qui l’ont exigé comme le rappelle Jean-Baptiste Lecaillon : « à l’issue d’un discours aux équipes fin 2017, ils m’ont demandé à être audités ! Ils voulaient le label, ils voulaient prouver ce qu’ils mettent en œuvre au quotidien, ils voulaient montrer leur engagement et en rajouter : plus de biodiversité, plus de terroir, plus d’hectares en bio, leurs attentes étaient extrêmement fortes alors nous leur avons donné la main sur l’artisanat de nos vignes ». Le futur du champagne sera donc bio grâce aux et avec le soutien des générations futures.
Pour votre santé comme celle de la planète, mangez bio : c’est la science qui le dit !
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C’est un grand chelem pour l’agriculture biologique ! Pour la santé des sols, la biodiversité, le climat et la santé humaine, manger bio change tout . En diminuant considérablement les externalités négatives (comme les émissions de gaz à effet de serre ou la pollution des cours d’eau) et en augmentant fortement les externalités positives (comme la biodiversité animale et végétale), l’agriculture biologique est toute indiquée pour adapter notre monde aux effets du changement climatique. Voilà les conclusions d’une nouvelle enquête de l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologique (ITAB). Décryptage.
La pédagogie c’est la répétition. Après une première étude de 2016, celle de 2024 menée par l’Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologique (ITAB) enfonce le clou et ne laisse aucune place au doute : le bio est incontestablement la meilleure manière de produire pour la santé planétaire comme humaine.
D’abord, en ce qui concerne les sols, rappelons que 80 à 98% des sols sont contaminés par des résidus de produits phytopharmaceutiques (PPP) et leurs métabolites. Or, parce qu’elle limite considérablement le recours aux PPP, la bio a une action bien moins dégradante pour les sols, « de l’ordre de 70 à 90% des teneurs en résidus de pesticides en moins ». En outre, alors que la qualité des eaux souterraines se dégrade fortement (lire à ce propos notre article sur les conclusions de l’Agence de l’Eau Seine Normandie), on peut lire cette bonne nouvelle : « l’agriculture biologique employant peu les PPP contribue de facto beaucoup moins à la pollution de l’eau par leur entremise ».
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Tout ceci concourt à des effets très positifs, le plus saillant étant que « les indicateurs de la biologie des sols sont améliorés dans 70% des cas par rapport aux autres cultures ». Avec, dans le détail, « une amélioration de la porosité et de la prospection racinaire du sol », « une disponibilité de l’eau pour les plantes généralement améliorée » avec comme finalité très souhaitable de « permettre de diminuer le risque d’érosion des sols ».
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Dans un second temps, l’agriculture biologique a des effets très profitables et très prometteurs pour le retour de la biodiversité. Une urgence vitale quand on sait qu’entre 1970 et 2018, « 69% de l’abondance relative des populations d’espèces sauvages auraient été perdus » (Almond et Al. 2022). Là encore, un déclin dans lequel les PPP jouent un rôle majeur. Grâce à son utilisation infiniment moins grande de PPP, on retrouve sur les parcelles cultivées en bio « une abondance et une richesse spécifique respectivement supérieures de 32% et 23% ». Autre bon point souligné par l’étude ITAB, « les rotations plus longues et plus diversifiées en AB contribuent à l’amélioration de la biodiversité associée pour les cultures en rotation ». On peut également retenir que les habitats à proximité de parcelles conduites en bio sont de meilleure qualité. Enfin, et c’est crucial pour notre futur, la bio est plus efficiente pour la préservation de nos écosystèmes ce qui s’observe grâce à des niveaux de pollinisation et de régulation supérieurs aux parcelles conduites d’une autre manière.
Troisième point et des plus cruciaux, l’atténuation du changement climatique. L’enseignement principal de l’étude est très clair : « les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont systématiquement inférieures en AB ». Si cela est vrai pour l’ensemble des productions, il y a de fortes disparités selon les familles. Le bio est nettement plus sobre sur les végétaux, l’empreinte n’est que légèrement meilleure sur les bovins viande, équivalente dans le cas des bovins lait et même moins bonne en monogastrique. Les auteurs rappellent que pour tenir les objectifs de transition écologique dans l’agriculture, il faut aller vers de mode de production moins intensifs, ce qui implique de réussir de concert la transition alimentaire.
En effet, le Haut Conseil pour le climat évoque en 2024 que pour réussir à diminuer les GES de 50% il faut diminuer la consommation de protéines animales d’au moins 30% tout en diminuant la part d’azote minéral apporté aux cultures d’au moins 40% et miser sur un développement de l’agrécologie et du bio pour 50% de la surface agricole utilisée.
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Troisième point et des plus cruciaux, l’atténuation du changement climatique. L’enseignement principal de l’étude est très clair : « les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont systématiquement inférieures en AB ». Si cela est vrai pour l’ensemble des productions, il y a de fortes disparités selon les familles. Le bio est nettement plus sobre sur les végétaux, l’empreinte n’est que légèrement meilleure sur les bovins viande, équivalente dans le cas des bovins lait et même moins bonne en monogastrique. Les auteurs rappellent que pour tenir les objectifs de transition écologique dans l’agriculture, il faut aller vers des modes de production moins intensifs, ce qui implique de réussir de concert la transition alimentaire.
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En effet, le Haut Conseil pour le climat évoque en 2024 que, pour réussir à diminuer les GES de 50% il faut diminuer la consommation de protéines animales d’au moins 30%, tout en faisant diminuer également la part d’azote minéral apporté aux cultures d’au moins 40% et enfin, miser sur un développement de l’agroécologie et du bio pour 50% de la surface agricole utilisée.
À quoi ressemblerait la transition alimentaire ?
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Impossible, aujourd’hui, de conjuguer la transition alimentaire à l’indicatif tant nous n’en prenons pas le chemin. Un drame, car nous aurions tellement à y gagner, climatiquement, pour la biodiversité, la ressource en eau, pour notre autonomie alimentaire ou encore en termes d’emplois… Autant de progrès potentiels que décryptent pour nous Xavier Poux, membre du bureau d’études pour la gestion de l’environnement AScA et auteur du livre Demain, une Europe agroécologique[1].
[1] Avec Pierre-Marie Aubert et Marielle Court, Actes Sud 2021
Depuis le Covid, le terme de transition a explosé : écologique, énergétique, de la mobilité… Le dérèglement climatique nous impose de changer nos pratiques et ce qu’il convient de faire est parfois très clair – dans le cadre énergétique, sortir des énergies fossiles pour aller vers des énergies renouvelables – parfois plus flou comme dans le cas de la transition alimentaire.
Pour Xavier Poux « ce qui devient clair c’est que notre alimentation a un impact sur l’environnement et le climat. La relation de causalité est établie auprès du grand public. Ce qui est beaucoup plus flou, c’est vers quoi il faut tendre et pourquoi il faut changer. On entend majoritairement nous devons manger moins de viande, notamment moins de viande de ruminants. Et par conséquent, plus de végétal, voire plus d’insectes, le tout pour remplacer les produits animaux. Il y a du vrai dans cette vision, mais il faut aussi se méfier des généralisations simplistes ». Voyons avec lui dans le détail les gains qu’on pourrait escompter de cette transition.
Pourquoi moins de viande industrielle ?
D’abord, pour nous redonner les marges de manœuvre de production, sortir de la course en avant au productivisme qui ne profite ni aux agriculteurs, ni aux consommateurs : « nous n’en avons pas conscience, mais les deux-tiers des terres arables en Europe sont consacrées à produire des céréales intensives qui servent de nourriture aux animaux industriels. Réduire notre consommation de viande, et de lait, bien qu’on en parle moins, c’est permettre des cultures qui ne courent pas après le productivisme et son cortège d’engrais, de pesticides et d’irrigation ». Alors, la solution magique serait-elle d’éradiquer tout l’élevage animal ? « Non, tout est question d’équilibre ! Y compris par rapport aux gaz à effet de serre : les vaches et les autres herbivores émettent du méthane, mais ils jouent un rôle essentiel pour la biodiversité, le paysage et les fertilisants naturels. La priorité, c’est de sortir de l’élevage industriel et d’assurer une transition vers l’élevage agroécologique, dans lequel les ruminants ont toute leur place sans pour autant nuire au réchauffement tant que leur nombre ne s’accroît pas et que leur fumier est pleinement valorisé. Une agriculture 100% sans élevage crée aussi beaucoup de problèmes écologiques. Si on veut se passer des engrais de synthèse très coûteux en énergie, il faut que nous diversifions notre production avec plus de légumineuses que nous consommons directement (pois chiches, lentilles,…), mais également des fourrages pour animaux, et notamment le trèfle et luzerne. Ce sont ces fourrages qui apportent, et de loin, le plus d’engrais naturels dont on a besoin. ‘Moins mais mieux d’élevage’ est la formule qui résume la vision agroécologique. ».
Mais si on produit beaucoup moins, pourra-t-on toujours nourrir la planète ?
C’est le chiffon rouge souvent agité par les tenants du modèle agricole productiviste actuel : les alternatives, qu’elles soient bio ou en agroécologie n’auraient pas les rendements nécessaires pour nourrir huit milliards d’humains et mèneraient inexorablement au retour des famines de masse. Une chimère pour notre expert : « j’ai récemment participé à un article démontrant l’inverse[1]. Encore une fois, à cause de l’hypertrophie qu’occupe la production de protéines animales. Non seulement nous consacrons les deux-tiers de nos terres agricoles à des céréales pour nourrir les animaux, mais en plus de cela, nous importons massivement du soja de sorte que l’Europe produit 90% seulement de ses besoins en production végétale ! Contrairement aux idées reçues, nous sommes déficitaires. En réalité, l’Europe ne nourrit pas le monde, c’est le monde qui nourrit l’Europe et ses animaux en batterie, notamment le Brésil et l’Argentine. Nos travaux montrent que même une baisse de la production de l’ordre de 30% n’affecterait pas la sécurité alimentaire, si nous adoptons les changements de comportements alimentaires nécessaires. En outre, nous relâcherions la pression sur le reste du monde, qui n’aurait plus à produire « notre » soja.».
L’actualité nous rappelle les dramatiques problèmes de sécheresse et la responsabilité du monde agricole en la matière. La transition alimentaire s’attaque-t-elle à cet enjeu crucial ?
Ne tombons pas dans les surpromesses : face à l’ampleur du dérèglement climatique, un changement de modèle agricole seul ne va pas arrêter les sécheresses, mais il réduira considérablement la pression sur l’eau. D’abord, car aujourd’hui l’eau est utilisée principalement pour du maïs qui nourrit les animaux, aussi la transition diminuant la consommation de viande et de lait diminuera mécaniquement la consommation d’eau. Ensuite, car la transition passe par des systèmes d’élevages polyvalents qui sont beaucoup moins gourmands en eau et comptent sur des paysages beaucoup plus adaptables. Vous pouvez ainsi avoir des prairies « paillasson » l’été qui repartent à l’automne. Là encore, ceci demande beaucoup moins d’eau que des maïs arrosés pour qui un accident de parcours est fatal… et qui coûtent cher à produire ».
Cette transition va modifier les exploitations, de leur apparence jusqu’aux personnes qui les gèrent : quelles conséquences sur les paysages et l’emploi ?
« Notre agriculture actuelle avec des exploitations de plus en plus grandes ne permettent pas l’épanouissement de la biodiversité naturelle. A contrario, avec des haies et des prairies vous créez des micro-climats et réactivez des paysages fertiles. En outre, face à tous les ruissellements et inondations qui se multiplient avec le dérèglement climatique, les formes les plus résilientes sont les bocages, les prairies et les zones humides qui retiennent l’eau dans les sols et les nappes. On retrouve la bonne gestion de l’eau. Ceci n’a rien d’un luxe de paysagiste écolo ou de lubie bobo. Au contraire, voyez ce qui se passe dans le pays de Caux : la destruction de ces paysages crée de l’érosion, les rivières se vident et les nappes phréatiques ne se remplissent pas. Ça n’est, à l’évidence pas tenable ».
« Concernant l’emploi, commençons par une lecture historique : depuis 70 ans, produire plus n’a pas eu d’impact positif sur l’emploi agricole. Et c’est une litote… Au contraire, quand on a organisé la production, avec des quotas (le précédent historique des quotas laitiers face à la surproduction montre de biens meilleurs résultats que l’absence de régulation) et des assurances concernant la distribution, on a des résultats très positifs sur l’emploi précisément en contraignant la production. La mécanisation moindre et l’absence de pesticides de synthèses impliquent un besoin plus grand en main d’œuvre. Il reste à produire au prix juste pour permettre aux agriculteurs d’en vivre dignement ».
Cerise sans glyphosate sur le gâteau, tout ce que vous prônez est garanti sans pesticides ?
« Il faut comprendre pourquoi nous devons sortir des pesticides et des engrais de synthèse. Pour les pesticides, tous les rapports scientifiques sont clairs quant à leur impact sur la biodiversité et la santé. L’impact des engrais de synthèse est moins médiatique, mais tout aussi alarmant. Quand vous utilisez ces derniers, vous émettez du protoxyde d’azote qui dégage un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le CO2 et qui dure très longtemps. L’impact est comparable au méthane, mais beaucoup plus durable (dans le mauvais sens du terme). De plus, pour produire 1 kg de ces engrais, il faut l’équivalent d’1Kg de pétrole. D’où le fait qu’au début de la guerre en Ukraine, les prix ont flambé par peur de pénurie. Si on résume, ces engrais sont une catastrophe climatique, nous maintiennent en état de dépendance géopolitique et en plus, ils saccagent la vie des sols et des océans. En sortant de l’obsession court termiste du rendement, on fait revivre la biodiversité dans les sols. Sortir des pesticides et des engrais de synthèse, c’est une nécessité vitale pour toutes ces raisons. À court terme, en Europe, ça veut dire produire moins en volume, il ne faut pas se mentir. Mais l’alternative productiviste conduit à un risque d’effondrement où l’on perd tout ».
Alors, cette transition, on y va ?
« J’aimerais vous dire oui, mais je veux être clair : il y a pour l’heure un décalage croissant entre des injonctions à aller vers le bio et l’agriculture propre et une réalité dans laquelle les exploitations sont encore plus grandes, plus intensives, plus pleines d’engrais de synthèse. Nous sommes au bout d’un cycle économique où les choix politiques et financiers ont poussé l’immobilier et des biens de consommation et trop ‘tiré’ sur l’alimentation, à laquelle nous ne consacrons plus assez. Il faut retrouver plus de justice et nous ne ferons pas la transition sans payer plus pour bien manger, en sortant de la vision dans laquelle l’alimentation est la variable d’ajustement économique pour les moins favorisés ». [1]
L’alimentation saine est le sujet de Carole Galissant depuis l’enfance
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L’alimentation saine est le sujet de Carole Galissant depuis l’enfance, elle a longtemps cherché le moyen d’avoir le plus d’impact possible pour transmettre sa passion. Persuadée que seule on va moins loin, elle conjugue sa carrière au collectif, tant dans ses engagements syndicaux au SNRC (syndicat national de la restauration collective) que chez Sodexo où l’intitulé de son poste lui-même est tout un programme : directrice transition alimentaire et nutrition.
Après avoir hésité entre le monde de l’enseignement et le monde de la nutrition, la prévention Santé par le biais de l’alimentation saine et durable devient une évidence pour Carole. « Faire prendre conscience à tous qu’une bonne santé passe par l’assiette, et ce, à tout âge. »
Débute alors sa découverte du monde de la restauration collective, à Villepinte. Portée par la volonté de la ville et avec le soutien de l’Education Nationale, elle initie les enfants de maternelles et de primaires aux enjeux d’une alimentation équilibrée. Durant 10 ans, en les voyant régulièrement plusieurs fois par an et en créant leurs repas, elle affine ses connaissances sur les attentes nutritionnelles des enfants : « Ma rencontre avec Nathalie Politzer, Jacques Puisaye et Patrick Mc Leod, fondateurs de l’Institut du goût a changé ma vision de l’alimentation du jeune enfant. A leurs contacts j’ai appris à penser le temps du repas autrement. Après leurs enseignements, ce n’étaient plus les mêmes menus ni les mêmes recettes que je concevais : pour un enfant de trois ans, il faut faire attention à la couleur, à la texture et à ne pas avoir d’aliment non identifiable pour éviter toute forme de néophobie. Grâce à eux mon credo est devenu : la gourmandise changera peut-être le monde ».
La constance est depuis le maître mot de Carole : 29 années de présence en restauration collective et déjà plus de 10 ans d’engagement syndical au sein du SNRC. Dans les deux cas, une même envie de changer les choses de l’intérieur, mais aussi pour l’extérieur :« je voulais faire bouger les lois, protéger les femmes et les hommes œuvrant au quotidien pour bien faire manger nos divers consommateurs et qui pâtissent de l’image négative de leurs métiers. Pour moi, c’est une bouffée d’oxygène avec une approche très holistique. Par ailleurs, même si j’exerce dans une entreprise, il me semble que les sujets sur lesquels nous travaillons, ne doivent pas, ne peuvent pas être soumis aux règles concurrentielles : la qualité de la nourriture, la lutte contre le gaspillage relèvent de l’intérêt général, pas de la concurrence ».
Désormais directrice transition alimentaire et nutrition et grâce aux engagements de Sodexo dans l’alimentation durable, Carole Galissant inscrit son action dans le temps long.
« Les grandes entreprises ne doivent pas traiter le bio au coup par coup, de manière opportuniste : il faut une stratégie pluriannuelle. Cela commence par sécuriser les revenus des agriculteurs qui s’engagent : nous avons signé des contrats tripartites et pluriannuels avec des producteurs et des distributeurs. Chaque année, on revoit le tonnage et ils peuvent se projeter sereinement, cela nous oblige. Je pense par exemple en Ile-de-France aux lentilles ou encore à la semoule bio en partant du blé dur »
Le bio n’est pas une tocade, mais un axe d’une stratégie durable, avec certains produits stars comme les laitages, les pommes…Et cela mérite, tout comme le plan protéines, un plan pluriannuel sur cinq axes : les produits, les recettes, les menus, la promotion et la formation. C’est le chemin pour respecter EGALIM : si la restauration d’entreprise et les établissements de santé ont une grande marge de progression , les 20% de bio sont atteints dans le scolaire. Cela pourrait être encore amélioré par le bon choix des produits et par un grammage adapté aux types de consommateurs.
« La restauration collective est souvent l’occasion de découvrir un panel d’aliments oubliés ou méconnus comme un potimarron, un panais, un salsifis et aussi les légumineuses … Cela permet d’aider à élargir nos productions, de ne pas faire reposer notre autonomie alimentaire sur quelques plantes ».
Carole Galissant reste persuadée que les entreprises ont un rôle fondamental à jouer dans la transition alimentaire : « Nous devons parvenir à un rééquilibrage de notre consommation en protéines : 50 % protéine végétale et 50 % protéine animale comme le préconisent les recommandations nutritionnelles nationales. Notre action au quotidien peut avoir un impact fort car nous touchons des milliers de mangeurs par jour. Notre stratégie bas carbone va nous obliger à concevoir autrement nos prestations alimentaires : sélectionner des produits les moins impactant pour l’environnement, concevoir des menus plus sobres en consommation d’eau et en énergie pour être en cohérence avec les enjeux environnementaux ». A chacun selon ses responsabilités, en somme. Si l’éducation du citoyen est primordiale, elle pense que cela ne peut suffire :« bien sûr l’éducation alimentaire doit débuter dès le plus jeune âge et être poursuivie tout au long de la vie : goûtons, allons au marché, allons à la rencontre des agriculteurs, cuisinons. C’est essentiel, mais penser que cela suffirait est faux.
L’action doit être collective : nous aussi entreprises devons mettre nos consommateurs au centre d’une offre alimentaire plus vertueuse et plus propre»
Le BIO local mis à l’honneur à la table présidentielle de l’Elysée, avec le soutien de l’Agence BIO
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À l’occasion de la journée mondiale de la biodiversité et du lancement de la 25ème édition du Printemps Bio ce mercredi 22 mai, l’Agence BIO se félicite que pour la première fois, un repas 100% bio et origine France soit servi à l’Élysée.
De la fourche à la fourchette, les produits locaux, bio et de saison servis font la preuve du mariage d’une association réussie entre le bien-manger et la transition écologique.
Merci aux producteurs bio et locaux qui ont joué le jeu au menu : du pain BIO, des asperges blanches, de la volaille BIO, du fromage, des fraises… un repas gourmand et de saison pour les 400 collaborateurs du Mess de l’Elysée.
Ludovic du Plessis : luxe, calme et champagne bio
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Après une première vie professionnelle dans le secteur du « luxe » non bio, Ludovic du Plessis a bifurqué vers une approche radicale en reprenant Champagne Telmont, maison centenaire, bien déterminé à mener une conversion totale au bio. Et c’est avec la même détermination qu’il invite tous les amoureux de la vigne à en faire autant. Son mot d’ordre : tout faire, au Nom de la Terre.
Quand on pense aux militants du bio, on les imagine rarement dégustant des cigares en compagnie de fines bulles de champagne. Et pourtant, c’est bien dans ce cadre ouaté que Ludovic du Plessis a pris, il y a vingt ans, le virage qui le mènera sur la voie du bio. « Je travaillais dans le tabac et avais eu l’idée d’un accord cigare-champagne. Je voulais le meilleur pour cette dégustation. On m’a présenté Richard Geoffroy, le pape du champagne, alors à la tête de la cave de Dom Perignon. J’ai immédiatement démissionné pour travailler avec lui car, par chance, un poste était libre dans la maison et ce fut le début d’une histoire d’amour de dix ans avec LVMH ». A la suite de cette première aventure, il va diriger Louis XIII, un cognac de chez Rémy Cointreau où il s’imprègne du temps long, et aurait pu rester des années supplémentaires. Mais un célèbre ami va l’inciter à un changement de vie : « Je connais Leonardo DiCaprio depuis 20 ans. Alors, je n’étais pas spécialement concerné par l’écologie, mais il m’envoyait des documentaires comme « can we cool the planet? », et son activisme imprégné de sciences, ses discours d’ambassadeur à l’ONU ont planté en moi la graine au point que j’ai décidé d’en faire un projet de vie ».
Pendant trois ans, Ludovic va arpenter les terres champenoises à vélo pour trouver la maison de ses rêves, plus rare encore que le mouton à cinq pattes eu égard à la quadruple exigence qu’il avait : une maison avec une histoire, toujours détenue par la famille, produisant des vins hors du commun et qui ait déjà entamé une conversion en bio… Toutes choses réunies par Champagne Telmont, fondé en 1912 au moment des révoltes champenoises, toujours dirigée par la 4ème génération, dont Bertrand Lhôpital qu’il surnomme le « grape father », avec un vin qui le ravit et qui a obtenu sa première certification bio en 2017. L’opportunité est immanquable : « Il y avait tout ce que j’aime dans ce projet, j’ai proposé au groupe Rémy Cointreau d’investir dans cette maison centenaire pour en faire le meilleur de la Champagne sans aucun compromis environnemental. Nous sommes aujourd’hui 4 associés : Rémy Cointreau (majoritaire), Bertrand Lhôpital, moi-même et Leonardo DiCaprio qui nous a rejoints avec la ferme ambition de nous pousser encore plus sur la question écologique ».
Alors que les champagnes français sont à 5% seulement en bio, Telmont est à 70%. Ce qui ne suscite aucun triomphalisme chez Ludovic : « Nous voudrions être à 100% et nous allons l’être dans les prochaines années, mais ce qu’il faut bien comprendre c’est que les raisins en champagne viennent toujours de parcelles différentes. Comme pour les tableaux, on a besoin de cette palette, de cette diversité. Il y a d’ailleurs une transparence totale sur la provenance des raisins : un QR code sur chaque bouteille vous indique d’où elles viennent. Sur les 25 hectares que nous possédons, nous sommes à 90% bio, et pour les 75 hectares que nous achetons nous sommes à 60%, et il nous faut encore convaincre nos partenaires un par un pour atteindre 100%, et ça prend du temps. Quand vous passez en bio, vous perdez 20 à 30% de volume, mais nous offrons une prime à la conversion pour que les vignerons s’y retrouvent. Au final, de toutes façons, le champagne doit trouver sa voie dans la valeur, pas le volume ». La « Réserve de la Terre » Telmont, première grande cuvée bio de la Maison, s’écoule ainsi à 64 800 bouteilles, pas plus.
Beaucoup de grandes maisons de luxe empruntent des voies durables, soutenables, ou plus vertes. Telmont a choisi sa voie : le bio et la biodiversité, les deux étant pour la Maison intimement liés : « Chez Telmont, on dit que la regenerative agriculture c’est très bien, mais que ça ne constitue que la première étape. Il faut aller plus loin : passer au bio. Il faut plus de bio pour plus de biodiversité, sinon nous ne sommes qu’à la moitié du chemin. Il y a encore trop d’incompréhension : le bio, cela ne veut pas dire vin nature ou zéro dosage en sucre ; non, le bio cela veut dire que notre champagne Reserve de la Terre est élaborée à partir de raisins cultivés sans herbicides, pesticides, fongicides ou engrais de synthèse. C’est très bénéfique pour le sol, et très bénéfique pour le vin. Cela donne une cuvée radieuse, lumineuse et pleine de vie, c’est un goût vivant, qui vient de la grande vitalité des sols. Et je crois que ça, c’est le futur du champagne. La question n’est pas de savoir si les autres vont y venir, mais quand ; car un jour tous les champagnes seront bio ».
Au-delà du label, avec l’approche SBT (Science-Based Target) la Maison se donne un objectif très ambitieux de 90% de réduction de son empreinte carbone à l’horizon 2050, ce qui implique de commencer par ce qui en représente 40% à elle seule, la bouteille. « Pour des raisons marketing, nombre de bouteilles sont passées à 900 grammes (formats spéciaux). Nous, nous avons opté pour l’historique modèle champenoise à 835 grammes, dont on nous disait qu’on ne pouvait pas descendre davantage le poids. C’est vrai qu’il y a deux fois la pression d’un pneu dans une bouteille de champagne, et une trop grande légèreté faisait craindre de la casse. Nous avons relevé le défi et travaillé avec Verallia pour tenter une bouteille à 800 grammes, tout aussi résistante que celle à 835. Et les résultats de cette recherche sont positifs, c’est une bonne nouvelle. Il n’y a pas d’exclusivité, toutes les maisons de champagne peuvent suivre. Ensuite, nous avons découvert que les bouteilles transparentes pour le rosé et blancs de blancs étaient faites avec 0% de verre recyclé. Impensable pour nous ! Donc nous élaborons à partir de 2021 les Rosés et Blancs de Blancs dans des bouteilles vertes issues de 87% de verre recyclé. Un dernier exemple sur le sujet, pour passer d’une teinte à l’autre, il est d’usage de remettre les bouteilles au four avec une grande consommation d’énergie. Chez Telmont, nous prenons toutes les bouteilles même avec de légères variations de teinte… Et ainsi de suite, plus d’éditions limitées, plus de boîtes cadeaux. On fait du Champagne, pas des boites cadeaux. Supprimer le packaging superflu permet de réduire de 8% l’empreinte carbone de chaque bouteille produite. » Pour les plus férus de chiffre, toute la démarche environnementale est disponible ici[1].
Ces décisions de « bon sens paysan » sont extrêmement attractives pour les talents : désormais 16 dans l’équipe, ils ont reçu 250 CV pour le dernier poste de chef de produit qu’ils proposaient… La rançon de l’optimisme : « Je suis très confiant sur ce que la science peut nous apporter pour résoudre la crise écologique, et le bio est le meilleur chemin à suivre. Je ne juge pas ceux qui n’y sont pas encore passés, l’important est de continuer à porter la bonne parole et convaincre par nos actions ».
[email protected]
Avec Nicolas Patou, le bio part en tournée
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Chanteur et musicien, Nicolas Patou assure depuis quatre ans l’animation du stand de l’Agence Bio au Salon de l’Agriculture. Il sera aussi cet été au micro du Bio Tour – de quoi mettre en valeur les producteurs de bio partout en France, avec un bus itinérant. A bientôt près de chez vous !
Vous l’avez peut-être croisé un jour dans le métro parisien. « La Fée du métro », c’est lui, le saltimbanque à la bonne humeur communicative qui donne des coups de baguette magique « à tous ceux qui font la gueule ».
Chanteur et vidéaste qui réalise ses propres clips, Nicolas Patou prend aussi parfois le micro… pour animer des stands sur des événements où les professionnels vont à la rencontre du public. « La grande majorité des animateurs micro sont souvent des artistes par ailleurs », précise celui que Ouest France qualifiait en 2021 « d’intermittent surdoué ».
Un showman au service des autres
Sa première animation remonte au début des années 2010, pour le compte des industries laitières, sur une foire commerciale à Nantes où il avait pour mission de défendre… le lait bio. Lui était déjà convaincu des bienfaits de l’agriculture biologique : « On dit souvent que le ventre est notre deuxième cerveau, dit-il. Il faut bien faire attention à ce qu’on lui donne ! » Mais il se souvient de débuts chahutés… « A l’époque, le bio dérangeait un peu », dit-il en narrant l’anecdote de ce producteur de lait non-bio venu crier au scandale (« un éleveur bio était là, il ma aidé à gérer la situation »), ou de cet organisateur qui, sous prétexte que le label AB ne représentait que 2 % du marché, avait placé le stand du lait bio… derrière un camion.
L’accueil du public, heureusement, est plus chaleureux. Nicolas prend goût à ce genre d’animation jamais facile. Et il finit par trouver son style : « Ce n’est pas parce que j’ai un micro que je dois faire le show, dit-il. Mon rôle, c’est de mettre de la vie sur le stand, et surtout de mettre les producteurs et les produits en valeur ». Avec quelques blagues ici ou là pour détendre l’atmosphère. « Il peut m’arriver de me lâcher et de pousser la chansonnette si l’atmosphère s’y prête, précise-t-il. Mais j’ai aussi appris à ne pas parler pour ne pas saturer l’ambiance. » Un animateur micro qui sait aussi se taire : Nicolas Patou a parfaitement intégré le principe de la jachère !
Mettre la vie sur le stand
En 2020, Nicolas Patou fait résonner pour la première fois sa voix chantante au Salon de l’Agriculture, sur le stand de l’Agence Bio. Un choix presque naturel, pour lui comme pour l’agence. « J’y ai trouvé des gens lumineux », dit-il. Entre quiz, présentation de producteurs et dégustations, il fait découvrir le bio aux visiteurs de façon ludique, à la fois facétieux et factuel. Cette année, sur le stand, on l’a plusieurs fois entendu poser aux enfants comme aux adultes cette question mystérieuse : Combien de bouses peut faire une vache en une journée ? On vous laisse chercher la réponse. « C’est une question qui interpelle toujours, explique Nicolas. Elle fait rire les enfants, mais elle permet aussi de développer plusieurs thèmes propres au bio : la santé des sols, la rotation des cultures, l’alimentation animale, le compost, le biogaz… »
Mais son moment préféré reste celui de l’animation culinaire, où pendant deux heures il fait vivre en direct la transformation par des grands de produits bruts en des recettes enchanteresses que les gens peuvent déguster sur place… « Un de ces moments où on ne voit pas le temps passer ! »
Le « Bio Tour » 2024, grande première
En ce printemps 2024, Nicolas Patou le chanteur-animateur s’apprête à partir en tournée… avec l’Agence Bio. Le « Bio Tour », lancé en avril à Clermont-Ferrand et à Lyon, proposera des ateliers ludiques, des quiz, des rencontres de producteurs, des dégustations et même un jeu en taille réelle pour les enfants : le puissance 4 des salades. Le tout dans un bus éco-conçu qui roulera au Gaz naturel comprimé.
«Tout a été aménagé spécialement pour permettre de découvrir le bio dans toutes ses dimensions, créer des rencontres avec des producteurs et convaincre les gens qu’on peut cuisiner bio sans dépenser plus », résume Nicolas Patou. Le bus peut accueillir une vingtaine de personnes – mais c’est surtout à l’extérieur que l’animateur sera à son meilleur, pour rafraîchir les journées d’été, remettre quelques idées en place et mettre en valeur les producteurs locaux. « Je vois bien que beaucoup de gens sont perdus, témoigne-t-il. Il y a tant d’infos qui circule partout… Et je vois aussi le bien que ça fait aux producteurs quand ils sentent qu’on les défend, et qu’on va à la rencontre du public. »
Les prochaines étapes pour Nicolas seront dans le Sud-Ouest : Bordeaux (21-22 mai) et Toulouse (24-26 mai).
… Pardon ? Une question dans le public ? Ah, oui, bien sûr. Combien la vache produit-elle de bouses par jour ? La réponse est : douze. Nicolas Patou, décidément, a l’art du savoir ludique, et toujours le goût de la rime.
A bientôt sur la route !
Stéphanie Pageot, la qualité de vie en bio
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Éleveuse laitière avec son conjoint en Loire-Atlantique, Stéphanie Pageot développe sa ferme tout en revendiquant l’envie de concilier travail et vie personnelle. Avec la bio pour boussole, pour bien vivre aujourd’hui et mieux préparer demain.
Ça pourrait être l’histoire d’une traversée de la France : Stéphanie Pageot, fille d’agriculteur bio dans les Vosges, s’est installée en 1998 en Loire-Atlantique, à Villeneuve-en-Retz, le village de son conjoint, Guylain. Mais son histoire raconte plutôt celle des évolutions de l’agriculture à l’orée du XXIe siècle…
« J’ai toujours su que je voulais m’installer en bio, raconte-t-elle. Pour mieux respecter les animaux, l’environnement, les sols, l’air, l’eau… et aussi les femmes et les hommes. » Avec un certain goût du défi, aussi, car le couple choisit de s’installer en reprenant une ferme non-bio, avec 65 vaches laitières. « Les débuts n’ont pas été faciles, avec les prairies qui donnaient peu », mais ils tiennent bon et développent leur activité. Si bien qu’en 2005, avec l’arrivée d un nouvel associé, la question se pose d’agrandir la ferme… Mais c’est un autre virage que les 3 co gérants de la ferme Marais Champs prennent « Nous avons fait le choix de créer de la valeur ajoutée sur la ferme en fabriquant nos fromages fermiers, raconte Stéphanie Pageot. J’ai un diplôme d’ingénieur en agriculture qui me donnait de bonnes bases sur la compréhension du vivant, j’ai suivi ensuite en 2005 une une formation spécifique pour la transformation fromagère, et nous nous sommes lancés… » Le système se rôde peu à peu, et un an plus tard, le succès est au rendez-vous : la Ferme embauche une personne, puis deux, puis trois…
Diversification et vente directe
Aujourd’hui, l’exploitation compte 117 hectares, pour une cinquantaine de vaches. Elle produit près de 250 000 litres de lait par an, dont les deux tiers sont consacrés au produit phare de la ferme : la tomme au lait cru – ainsi que des fromages frais épicés ou de la crème fraîche. Le dernier tiers est livré à Biolait, le petit lait, lui, permet de nourrir une trentaine de porcs qui contribuent à la vie de l’exploitation et fournissent de la viande bio d’excellence. Pour les débouchés, Stéphanie Pageot a visé local… mais large. « Le mot d’ordre, c’est la diversification des circuits de commercialisation, pour ne pas mettre tout notre lait dans le même panier, explique-t-elle. Nous livrons à la fois les grandes surfaces locales, des AMAP, et des cantines scolaires. » Sans oublier notre magasin à la ferme ! « C’est extrêmement gratifiant d’avoir les retours directs des gens, qui nous complimentent sur nos fromages », sourit la responsable de l’exploitation. Elle se dit fière « d’avoir mis en place un système où on vit bien tout en faisant de produits de qualité », fière aussi de s’investir dans le réseau des productrices et producteurs bio de la FNAB (dont elle a été présidente de 2013 à 2018), notamment pour faire changer le regard sur la place des femmes dans l’agriculture.
La qualité de vie comme objectif
Après vingt-cinq ans de métier, Stéphanie Pageot s’est fixé un nouvel objectif : celui de la qualité de vie. Certes, elle et son mari travaillent plus que 35 heures par semaine… « Mais nous veillons à avoir des conditions de travail proches de celles de nos salarié-es , glisse-t-elle ; et nous prenons cinq semaines de vacances par an. C’est important. »
En regardant plus loin encore, elle confie qu’elle n’est « pas sûre de terminer agricultrice ». Mais pas question pour autant de lâcher la bio ! « C’est l’agriculture de demain », insiste-t-elle. Celle qui protège la nature, l’eau et biodiversité tout en limitant l’impact climatique, avec les prairies qui absorbent le carbone ». Elle se voit bien mettre son expérience au service des autres en contribuant à la structuration de filières bio locales et équitables, qui rémunèrent justement les paysans-nes . Une autre façon de penser à la fois l’agriculture et ses débouchés, en somme : un esprit de système, au bénéfice de la nature, et de tous les consommateurs. Mais tout cela sera pour demain : aujourd’hui, ce sera le Tome 2, après la tomme 1…
Cultive, semeur de graines de changement systémique
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Ensemble à la ville comme dans leur entreprise, Baptiste Saulnier et Vanessa Correa n’ambitionnent pas le bonheur en se repliant sur leur cocon, mais au contraire en prenant part à un mouvement de changement radical de notre modèle agricole. Cultive, leur programme de formation et d’aide à l’installation en agriculture biologique et intensive sur des petites fermes, ouvrira prochainement son campus avec l’objectif d’accompagner l’ouverture de centaines de fermes bio dans les dix ans qui viennent.
La ferme du Bec-Hellouin est le pendant de Nothing Hill pour les amateurs d’agriculture bio : un lieu de coup de foudre. Après avoir travaillé dans des fermes bio en Californie, en Colombie et en Israël, Vanessa Correa y séjournait en accompagnant un agriculteur désireux d’apprendre à mieux régénérer son sol et intensifier ses rendements. Elle y croise alors Baptiste Saulnier, ancien sportif de haut niveau (hockey sur gazon) reconverti en restaurateur autodidacte à succès, avec huit restaurants. Dans le dernier d’entre eux, il voulait monter un potager urbain, ce qui ne put se faire, alors il surmonta sa déception en insistant lourdement pour se former au Bec Hellouin « pour être certain qu’ils aient reçu mon mail, je venais chaque semaine chercher mon panier et j’en profitais pour les relancer, je les ai eus à l’usure ! ».
Passée la rencontre dans un des lieux saints de la bio, ils ne se quittent plus et changent de terrains d’expérimentations pour leurs méthodes d’agriculture bio intensive. Ces préceptes viennent de leurs deux mentors, le pionnier américain Eliot Coleman (84 ans) et la relève québécoise Jean-Martin Fortier (45 ans) chez qui Baptiste s’est formé. Leur philosophie vise à moderniser les vertus écologiques de l’agriculture pré révolution industrielle, non mécanisée, en en diminuant la pénibilité physique et en la rendant socialement plus attrayante. « Il y a aujourd’hui un déficit d’image très fort sur les métiers agricoles, avec des cadences éreintantes pour une rémunération trop faible, nos fermes cassent ce cercle vicieux en créant de nombreux emplois avec des salaires décents et des horaires compatibles avec une vie de famille », avance Baptiste.
Ce cercle vertueux n’est pas parfait qu’en théorie : ils l’ont concrétisé aux jardins de Chambord pendant 3 ans, dans ferme du Perche bio-intensive, où ils ont eu l’idée de Cultive, il y a un an et demi. Cette école de formation vise à créer un parcours métier en 4 étapes réparties sur un an, alliant 4 mois de théorie et huit mois de pratique pour être certain de la viabilité des projets, humainement comme économiquement. Selon Vanessa « 50% des repreneurs de fermes arrêtent au bout d’un 3 à 4 ans . La réalité quotidienne du métier étant plus dure que l’image un peu romantique et néo rurale dans laquelle ils s’étaient projetés. Avec Cultive, nous leur offrons la possibilité de s’assurer qu’ils aiment aussi désherber les carottes sous la pluie ou le gel, ou travailler le sol par canicule ! ». L’accompagnement ne s’arrête pas à ces mises en situation essentielles, mais va jusqu’à un appui personnalisé à la commercialisation. Pour Baptiste « lors de l’enseignement théorique, nous proposons une boîte à outils standard qui explique l’ensemble des moyens de distributions et modèles économiques qui existent, mais en réalité il y a autant de modèles qu’il y a de fermes : selon que vous soyez situé près d’une métropole ou plus enclavé, vous ne proposerez pas les mêmes débouchés. A Chambord, 50% de notre production était destinée aux grandes et moyennes surfaces de Blois, ça n’est évidemment pas duplicable avec une ferme isolée. En outre, il faut adapter aux envies des producteurs : la vente en direct le week-end est un excellent vecteur de développement, mais si vous voulez privilégier votre vie de famille, vous allez plus pousser sur d’autres canaux de vente ». Comment l’ancien restaurateur juge t’il ses homologues, bon derniers de la classe du bio, avec moins de 1% de produits bio vendus dans les restaurants français ? « Il faut continuer à faire appliquer la loi Egalim, qui assure des débouchés et des revenus aux agriculteurs bio et qui donnent de la visibilité à ces produits, les rendent incontournables. Je ne peux que déplorer que le facteur coût soit trop invoqué par les chefs, mais les choses bougent lentement : la ferme du Perche dans laquelle je travaillais livrait une trentaine de restaurants. Mais pour dupliquer cela, il faut surmonter les contraintes logistiques… J’espère juste que ça viendra vite ».
Pour faire vivre tout le monde avec une petite surface il faut viser l’hyper rendement et anticiper les récoltes avec une planification optimale. Cette dernière inverse le cycle de production habituel : on part des débouchés potentiels, des différents canaux à acheminer, pour estimer les quantités nécessaires à semer. Pour parler chiffres, sur une ferme d’un hectare seulement, on emploie six ETP et on produit 30 variétés de légumes à l’ouverture et 50 en rythme de croisière pour une diversité d’espèces pouvant atteindre 175 (grâces aux nombreuses espèces de tomates et de betteraves, notamment). Les plantations sont prévues des mois à l’avance, pour optimiser les rendements, la clé du succès selon Baptiste : « 80% de notre production est transplantée et pas semée directement. Ceci nous permet d’avoir trois rotations de cultures par planches et d’augmenter de 90 jours leur production. Par ailleurs, la non mécanisation induit qu’on peut resserrer les lignes, puisqu’on désherbe à la main. Au final, c’est vraiment très compact, on a peu l’impression de faire un Tétris sur champ ! ». Le tout pour une production au m2 imbattable, avec 50 à 60 tonnes sur 7000m2 pour 260 000 euros de rendements, ce qui permet bien de payer les six salariés de la ferme, beaucoup plus qu’en agriculture conventionnelle, fidèle en cela à la maxime de Jean-Martin Fortier, « transformer l’agriculture de masse en une masse d’agriculteurs ».
Des indéniables performances chiffrées, les fermes prônées par Baptiste et Vanessa visent une dimension esthétique au service de l’écologie. Cette dernière a d’ailleurs appris de ses expériences hors de France : « Quand j’étais en Israël, j’ai été très inspirée par Neot Semadar, une ferme luxuriante au milieu du désert avec une gestion de l’eau exceptionnelle. Là-bas, toutes les eaux grises et usées, tous les résidus d’eau salée servent à l’agriculture, rien n’est perdu ! ». Ce souci de préserver l’eau passe aussi par une protection du sol, avec des couvertures qui limitent l’évaporation et une récupération de toutes les eaux usées. L’efficience environnementale ne se fait pas au détriment du paysage, au contraire. Pour Baptiste : « nous vivons l’agriculture comme un art. Travailler sur l’image des métiers agricoles, c’est aussi penser le cadre de travail. Dans nos fermes, on installe des bassins, des haies, on vise à embellir les fermes dans une même stratégie globale de rayonnement territorial. C’est la même logique d’attractivité pour tout : de beaux espaces, de bonnes conditions de travail, du travail en commun pour attirer un maximum de candidates et candidats ». Avant qu’ils n’arrivent, Vanessa et Baptiste conseillent et accompagnent déjà leurs premiers clients Cultive dans la mise en place ou la montée en rendement de leurs fermes maraîchères avec des objectifs très élevés : doubler les rendements et faire décoller le chiffre d’affaires.
Dès novembre 2024, le Campus Cultive ouvrira ses portes à une 1ère promotion de 25 impétrants agricole. Au programme : 4 mois de théorie et 8 mois de pratique. L’ambition affichée est de former 1600 élèves et d’accompagner l’installation de plus de 600 fermes dans les dix années à venir. Fort logiquement, les préceptes de Cultive déconstruisant toutes les normes dominantes, les candidates et candidats au campus sont diversifiés et détonnent des profils actuels. Trois grandes catégories se détachent : les personnes en reconversion aspirant à la néo ruralité, énormément d’agriculteurs et maraîchers déjà en poste qui veulent changer leur système de production pour mieux gagner leur vie et des enfants d’agriculteurs désireux de reprendre la ferme familiale en augmentant la valeur crée. Dans les trois cas, on retrouve plus de femmes que d’hommes. À celles et ceux qui pestent de ne pas toujours trouver de bons produits bio à côté de chez eux, patience, la relève arrive en masse !
Benoît Soury, pilier du XV de France du bio
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À l’heure où la bio toute entière traverse une période mouvementée, le Directeur du Marché Bio Groupe de Carrefour plaide l’unité comme moteur de la reconquête des consommateurs.
Nombreux sont ceux qui rentrent dans la bio comme dans les ordres, par vocation, par absolu. Pas Benoît Soury, qui n’a pas cherché à aller vers la bio, mais quand celle-ci est venue à lui il y a 30 ans et l’a happée, c’était pour ne plus jamais la quitter. « J’ai été approché par un cabinet de chasseurs de têtes qui cherchait un Directeur Général pour Distriborg, notamment propriétaire de la marque Bjorg. J’ai été séduit par le projet d’entreprise, appartenant à son fondateur, mais également par la nature des produits avec un cahier des charges et des normes très exigeantes. La complexité du projet alors que nous étions aux prémices du bio en GMS m’a convaincu ».
Sa carrière suit la même courbe ascendante que le bio pendant deux décennies : d’abord patron de la distribution spécialisée de Distriborg (avec les marques Bonneterre et Evernat) de 1994 à 2002, il va ensuite saisir l’opportunité de s’associer pour racheter la vie Claire, dont il va accompagner l’essor jusqu’à en faire le 2ème réseau de France. Nous sommes alors post scandale de la vache folle et le rapport des français à l’alimentation change avec une forte angoisse sanitaire : « On voyait les familles faire face aux dérives d’une alimentation trop transformée qui voulaient trouver des produits plus sains en circuits plus courts avec des entreprises à caractère familial. En face, les agriculteurs étaient aussi désireux de produire et nourrir autrement. Nous étions alors dans une boucle très vertueuse : chaque création de magasin s’accompagnait d’une demande consommateur très forte. Nous faisions même face à des pénuries de matières premières ! En quelques années, nous sommes passés de 0,5% de la surface agricole utile (SAU) à 8 ou 9%. La volonté des consommateurs de préserver d’abord leur santé, puis la planète, a accompagné ce mouvement ».
L’aventure s’arrête – pas de son fait – en 2018 et Benoît croise alors la route des dirigeants de Carrefour qui sont en pleine mutation sur le sujet. Un an plus tôt, ils se donnaient comme nouvelle ambition « la transition alimentaire pour tous » et la volonté d’être un leader européen du bio. « Je suis rentré chez Carrefour avec l’ambition de co-construire, avec nos équipes marchandises, la marque Carrefour Bio et en faire un leader européen. Aujourd’hui avec ses 1200 références, la marque Carrefour Bio est la première marque bio en France, mais aussi en Belgique, Espagne, Italie… L’essentiel, qui n’est pas assez connu du public, est que nous l’avons fait en investissant sur le long-terme aux côtés de 4 500 agriculteurs. Cela fait de nous le premier financeur du monde agricole bio ». La contractualisation, concrètement, convertit en une année des dizaines de producteurs de lait du centre de la France, associés à des embouteilleurs, leur garantissant ainsi des débouchés pour des millions de litres sur 3 ans.
Quand certains opposent de façon artificielle bio ou local, Carrefour choisit les deux, avec 100% des fruits et légumes bio hors agrumes et 100% origine France, idem pour la viande bio. Des fondamentaux qui perdurent malgré une crise sévère pour le bio et face à laquelle Benoît Soury affiche un optimisme empreint de réalisme : « nous sommes le seul pays à l’équilibre entre production et consommation. Notre marché est né de la volonté commune des producteurs et consommateurs. Bien sûr, quand vous avez 8% d’inflation et 20% d’inflation alimentaire, il y a des choix qui sont faits sur ce segment. Cela nous a fait perdre les jeunes, les occasionnels et ceux pour qui le choix du bio était un luxe. En outre, tout un tas de concurrents avec des cahiers des charges privés (comme zéro pesticides, et autres) ont brouillé la perception du grand public, ce qui n’aide pas. Pour autant, Carrefour veut continuer à créer, développer et racheter des magasins. En outre, quand on interroge les consommateurs, leur aspiration à manger mieux et sain reste forte même s’il y a un delta entre aspiration et capacité. Mais notre noyau dur est resté fidèle ». Une manière de dire que le plus dur est passé et que les saines alliances entre producteurs et consommateurs responsables vont repartir de l’avant.
Alan Testard, le bio comme un sport collectif
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