Une famille d’agriculteurs, un père pionnier de l’agriculture biologique : Sandrine Faucou avait tout pour devenir agricultrice. Et pourtant ! Enfant, assure-t-elle, elle n’y pensait pas. « Je m’imaginais plutôt professeure d’italien. Mais après quelques années d’études littéraires, j’ai compris que je voulais travailler dans le monde rural. Il y avait tant à faire… » Elle reprend des études agricoles, se spécialise en agriculture biologique… Pour reprendre la ferme familiale ? Pas du tout : pendant 8 ans, elle arpente les Alpes du Sud et la Haute Provence comme conseillère agricole, lance des projets, monte et anime des groupes d’agriculteurs (en bio, ou à la mise en place de pratiques alternatives pour les cultures ou encore autour des soins alternatifs en élevage). Ce n’est qu’en 2009 que l’opportunité et le destin se croisent : « J’avais été motivé pour accompagner les projets et œuvrer à leur mise en route, j’avais envie d’un autre défi, et la ferme était là. Je ne m’étais jamais projetée en agricultrice, mais j’avais acquis une bonne vision du métier : en 6 mois, j’ai changé de vie. »
La voilà à la tête de 50 hectares, entre le Luberon et la montagne de Lure, pratiquant la rotation des cultures pour maintenir la qualité agronomique des sols. Sa production principale ? Le petit-épeautre– entre 15 et 25 tonnes par an qu’elle transforme elle-même, et commercialise en circuit court : magasins de producteurs et spécialisés, restaurants (dont certains étoilés) et cantines, ainsi que les boulangeries locales, qu’elle fournit en farines. Elle cultive et commercialise aussi des lentilles, des pois chiches, et du lavandin dont elle fait une huile essentielle.
Son plus grand plaisir ? « Mettre du coeur dans ce que je fais, et nourrir les gens avec les meilleurs produits possibles. » Susciter le plaisir chez les consommateurs, et le voir dans leurs yeux : c’est cela aussi, la joie des circuits courts. « Je vends mes produits localement, mais je me fournis aussi, en bio, dans les magasins de producteurs de la région. Et bien sûr, on achète aussi les produits des amis, en direct. » Jus d’abricot ou butternut, elle cherche du bio, mais surtout du bon. « Je suis pour le bio gourmand ! » insiste-t-elle.
Cet engagement pour la qualité l’a conduite à prendre la présidence de l’Organisme de Défense et de Gestion du petit-épeautre de Haute-Provence (reconnu depuis 2010 par une IGP), et à s’engager à l’INAO, à la Chambre d’Agriculture… et à l’Agence Bio, dont elle est administratrice. « Cela semble beaucoup, mais c’est un tout, dit-elle. Mes différentes expériences m’ont amenée à voir le bio sous toutes ses facettes, je participe aux projets collectifs. Je m’engage dans ce qui fait sens pour moi, c’est ensemble que nous construisons l’agriculture de demain. » Sans oublier la vie de famille – avec ses deux filles et un mari dans un autre domaine professionnel… « bien éloigné des tracteurs », ajoute-t-elle en riant.
Sandrine Faucou veille à l’équilibre entre tous ces engagements. « Être agricultrice, c’est prendre soin de la terre, de notre travail, des gens qu’on nourrit… Il faut aussi veiller à ne pas se malmener soi-même. » Surtout quand les conditions se font de plus en plus difficiles, avec l’évolution climatique. Car si petit-épeautre et lavandin se prêtent idéalement à la « culture sèche », sur des sols pauvres et sans irrigation, la sécheresse les fait souffrir. « Il n’y a eu une goutte d’eau pendant sept mois ! » constate Sandrine Faucou. Sa production de céréales a baissé de 40 % en 2022 – du jamais-vu. « Quand on travaille la terre, il faut être humble, et philosophe pour composer avec les aléas », dit-elle. Il faut toutefois veiller à la viabilité agronomique et économique de l’entreprise : si la sécheresse devait persister, tout serait menacé. « On voit le champ des possibles se restreindre. Mon père, par exemple, faisait aussi des semences de légumineuses ; maintenant ce n’est plus possible. »
Pas simple, dans ces conditions, de faire des paris sur l’avenir. Sandrine Faucou poursuit néanmoins son chemin, sur ses terres et ailleurs, « pour porter ses valeurs », et œuvrer partout où elle le peut à la reconnaissance de la qualité et l’ancrage territorial des produits – comme dans le Sud-Ouest, récemment, où elle a contribué pour l’INAO à faire reconnaître le miel des Landes. « Je veux me donner le droit de continuer à rêver d’un monde meilleur », conclut-elle.
Et contribuer activement à le construire, avec sérieux et gourmandise.